reçu docteur es lois par bénéfice d’àge, comme tant de magistrats bien élevés, et prêt d’acheter une charge de conseiller de la cour des aides ou du parlement dans le temps où le droit de juger les hommes se vendait encore.
Après quelques pourparlers, le maréchal de camp vient signer au jeune magistrat des billets de trois cent mille livres, avec les intérêts à six pour cent. Ces billets à ordre sont faits dans un galetas où logeait ce prêteur, et où il y avait pour tous meubles trois chaises de paille et une table de sapin. L’emprunteur, en voyant cet ameublement, crut être chez un jeune courtier d’agent de change. Il affirme et jure qu’il n’a fait ces billets que pour être négociés sur la place, et qu’il n’a point reçu la valeur ; qu’il ne devait la recevoir que quand l’affaire serait consommée, selon l’usage établi dans toutes les villes de commerce.
Le jeune homme affirme et jure que c’est l’or de madame sa grand’mère qu’il a donné ; qu’il a porté cet or à pied, en treize voyages, en un matin ; qu’il a fait environ cinq lieues et demie à pied pour obliger monsieur le comte, quoiqu’il pût porter cet or dans un fiacre en un seul voyage[1].
Il y a fait faire ces billets au profit de la dame Véron, sa grand’mère. Il n’y a pas d’apparence qu’un homme d’un âge mûr les eût signés s’il n’en avait pas reçu la valeur. Mais il y a peut-être encore moins d’apparence que la grand’mère Véron, qui demeurait dans un galetas avec la Romain, mère de Du Jonquay, et trois sœurs de Du Jonquay, très-pauvrement vêtues, et subsistant, elle et toute sa famille, d’un très-petit fonds qu’elle faisait valoir à usure, eût possédé la somme exorbitante de trois cent mille livres en or.
La famille prévient cette objection, qu’on ne lui faisait pas encore, en disant que la veuve Véron, la grand’mère, avait reçu secrètement une grande partie de cet argent depuis plus de trente ans, par les mains d’un nommé Chotard, qui était mort banqueroutier ; que son mari, prétendu banquier, avait donné secrètement cette somme à l’inconnu Chotard par un fidéicommis secret. La veuve l’avait fait valoir secrètement chez un notaire ;
- ↑ On voit en effet au procès un écrit de M. le comte de Morangiés, du 24 septembre 1771, par lequel, de plusieurs plans d’emprunts proposés par Du Jonquay (qu’il prenait pour un courtier), il adopte celui de trois cent vingt-sept mille livres payables pour trois cent mille comptant, et promet de faire des billets de trois cent vingt-sept mille livres, y compris l’usure, quand il recevra l’argent. Or Du Jonquay prétend avoir donné cet argent le 23. Il est impossible que l’emprunteur ait promis, le 24, de signer sitôt qu’on lui apporterait un argent qu’il aurait reçu la veille. (Note de Voltaire.)