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viendrait où la postérité serait étonnée que son siècle eût ignoré des choses si simples : « Veniet tempus quo posteri nostri tam aperta nos nescisse mirabuntur[1] » Mais cela même prouve que de son temps on n’en savait rien.

C’était le sort des Sénèques de prédire l’avenir par de simples conjectures, d’une manière toute contraire à celle des autres prophètes, Sénèque le Tragique prédit ainsi, dans un chœur de son Thyeste[2], la découverte d’un nouveau monde. Mais si on voulait en inférer que Sénèque doit partager avec le Génois Colombo la gloire de la découverte, on serait non-seulement injuste, on serait ridicule.

Nous ne trouvons point dans Plutarque de témoignage plus fort en faveur de l’antiquité que dans Sénèque : « Quelques[3] pythagoriciens, dit-il, pensent qu’une comète est un astre qui ne se montre qu’après un certain temps ; d’autres assurent qu’une comète n’est qu’un effet de la vision, comme les apparences de ce qu’on voit dans un miroir, Anaxagore et Démocrite disent que c’est un concours d’étoiles mêlant leur lumière ensemble. Aristote prétend que c’est une exhalaison du sec enflammé, etc. »

Or je demande si l’exhalaison du sec, les apparences du miroir, et le concours des deux lumières, donnent une idée bien nette de la théorie des comètes.

L’opinion du peuple de Paris qu’une comète qui apparaîtrait le 20 ou le 21 de mai 1773 nous amènerait la fin du monde a quelque chose de plus positif que le discours de Plutarque ; mais cette idée n’est pas neuve. Il y a longtemps que les gens qui savaient comment le monde a été fait savaient aussi comment il devait finir, Jupiter lui-même dit, dès le premier livre des Métamorphoses[4], que le monde doit périr, par le feu :

Esse quoque in fatis reminiscitur adfore tempus
Quo mare, quo tellus, correptaque regia cœli,
Ardeat, et mundi moles operosa laboret.

Mais Jupiter ne dit point que ce sera l’effet d’une comète. Cette idée de la fin du monde dura depuis Jupiter jusqu’à notre

  1. Nat. Quæst., VII, 25.
  2. Ce n’est pas dans Thyeste, mais dans Médée, que Sénèque parle de la découverte d’un nouveau monde ; voyez son texte, rapporté par Voltaire, tome XVIII, page 310, et la traduction, tome XII, page 358.
  3. Des Opinions des philosophes, livre III, chap. II. (Note de Voltaire.)
  4. Vers 256-8.