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VI, — De la graisse.

Vous vous extasiez sur ce que dans votre Vaïcra (dans votre Lévitique) il vous est défendu de manger de la graisse parce qu’elle est indigeste ; mais, messieurs, Aaron et ses fils avaient donc un meilleur estomac que le reste du peuple : car il y a de la graisse entre l’épaule et la poitrine qui sont leur partage. Vous prétendez que vos brebis avaient des queues dont la graisse pesait cinquante livres : elle était donc pour vos prêtres. Arlequin disait, dans l’ancienne comédie italienne, que, s’il était roi, il se ferait servir tous les jours de la soupe à la graisse : c’était apparemment celle de vos queues.

VII, — Du boudin.

Vous tirez encore un grand avantage de ce que les pigeons au sang et le boudin vous étaient défendus : vous croyez que ce fut un grand médecin qui donna cette ordonnance ; vous pensez que le sang est un poison, et que Thémistocle et d’autres moururent pour avoir bu du sang de taureau.

Je vous confie que, pour me moquer des fables grecques, j’ai fait saigner une fois un de mes jeunes taureaux, et j’ai bu une tasse de son sang très-impunément. Les paysans de mon canton en font usage tous les jours, et ils appellent ce déjeuner la fricassée[1].

VIII. — De la propreté.

Vous croyez qu’à Jérusalem on était plus propre qu’à Paris, parce qu’on avait la lèpre et qu’on manquait de chemises ; et vous regrettez la belle police qui ordonnait de démolir les maisons dont les murailles étaient lépreuses. Vous pouviez pourtant savoir qu’en tout pays les taches qu’on voit sur les murs ne sont que l’effet de quelques gouttes de pluie sur lesquelles le soleil a donné ; il s’y forme de petites cavités imperceptibles. La même chose arrive partout aux feuilles d’arbres ; le vent porte souvent dans ces gerçures des œufs d’insectes invisibles : c’est là ce que vos prêtres appelaient la lèpre des maisons ; et comme ils étaient juges souverains de la lèpre, ils pouvaient déclarer lépreuse la

  1. Voyez tome XVIII, page 530.