Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.

clair que rien n’est plus raisonnable que d’espérer la fin du monde pour le 20 du présent mois de mai 1773, ou dans quelque autre année. Si la chose n’arrive pas, ce qui est différé n’est pas perdu.

Il n’y a certainement nulle raison de se moquer de M. Trissotin, tout Trissotin qu’il est, lorsqu’il vient dire à Mme Philaminthe (Femmes savantes, acte IV, scène III) :

Nous l’avons en dormant, madame, échappé belle :
Un monde près de nous a passé tout du long,
Est chu tout au travers de notre tourbillon ;
Et s’il eût en chemin rencontré notre terre,
Elle eût été brisée en morceaux comme verre.

Une comète peut à toute force rencontrer notre globe dans la parabole qu’elle peut parcourir ; mais alors qu’arrivera-t-il ? Ou cette comète aura une force égale à celle de la terre, ou plus grande, ou plus petite. Si égale, nous lui ferons autant de mal qu’elle nous en fera, la réaction étant égale à l’action ; si plus grande, elle nous entraînera avec elle ; si plus petite, nous l’entraînerons.

Ce grand événement peut s’arranger de mille manières, et personne ne peut affirmer que la terre et les autres planètes n’aient pas éprouvé plus d’une révolution par l’embarras d’une comète rencontrée dans leur chemin.

Le grand Newton nous a donné de plus fortes alarmes que M. Trissotin, car il a prétendu que la comète de 1680 s’étant approchée du soleil à la distance d’un demi-diamètre de cet astre, dut acquérir une chaleur deux mille fois plus forte que celle du fer embrasé ; M. Lemonnier[1] dit trois mille. Mais, supposons que cette comète eût été de fer, pourquoi aurait-elle acquis, à cent cinquante mille lieues du soleil, une chaleur deux ou trois mille fois plus forte que le fer ne peut en acquérir dans nos forges ? Les solides, comme les fluides, ont chacun leur dernier degré de chaleur, qui ne peut augmenter. L’eau bouillante ne peut jamais s’échauffer davantage, l’huile de même, les métaux de même. Le fer, le cuivre, qui coulent dans nos forges en fleuves de feu, ne s’embrasent jamais plus que leur nature ne comporte. Le feu d’une forge est le même que celui du soleil. Cet astre, étant plus grand, embrasera les corps plus vite ; mais il ne les embrasera

  1. Astronome, né en 1715, mort en 1799. Il fut un des maîtres de Lalande.