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Des incrédules soupçonneront que mon chirurgien donnait à ses serpents de grands coups de pierre ou de bâton, qui avaient plus de part à la mort du reptile que le crachat de l’homme. Mais enfin Virgile, qui passe encore à Naples pour un grand sorcier, dit en termes exprès :

Frigidus in pratis cantando rumpitur anguis.

(Ecl., VIII, v. 71.)

Ce qui a été ainsi rendu en françois ou en français par M. Perrin :

Chantez dans votre pré, les serpents crèveront.

Vous êtes persuadé que les sauvages d’Amérique charment les serpents. Je le crois bien, monsieur ; les Juifs les charmaient aussi. Vous trouverez dans le psaume lvii le serpent, l’aspic sourd qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la voix de l’enchanteur. Jérémie, dans son chapitre viii, menace les Juifs de leur envoyer des serpents dangereux contre lesquels les enchantements ne pourront rien. L’Écclésiaste, l’Écclésiastique, rendent gloire à la puissance des sages qui charment des serpents ; je me joins à eux. J’ai dit à des gens : « Je n’aspire pas jusqu’à vous charmer ; mais je voudrais vous apaiser. »

XXXIX. — D’Édith, femme de Loth.

Vous parlez de la femme de Loth transmuée en statue de sel, et je ne sais si c’est pour vous en moquer, ou pour la plaindre. Oh ! que j’aime bien mieux Virgile quand il raconte le malheur d’Eurydice !

Illa, quis et me, inquit, miseram, et te perdidit, Orpheu !
Quis tantus furor ! en iterum crudelia rétro
Fata vocant, conditque natantia lumina somnus.
Jamque vale, feror ingenti circumdata nocte,
Invalidasque tibi tendens, heu ! non tua, palmas.

(Georg., IV, 494.)

Pouvez-vous affaiblir les miracles terribles opérés sur cette femme infortunée, sur tous ses compatriotes jeunes et vieux, enivrés de la fureur de violer deux anges, et quels anges ! En nous racontant froidement, d’après je ne sais quel Heidegger, que des paysans furent changés en statues, eux et leurs vaches,