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d’avoir voulu inspirer la tolérance aux hommes dans son Traité de la Tolérance. Vous vous réjouissez de ce qu’un capitaine juif dans le petit désert de Madian, ayant donné bataille aux Madianites, ait égorgé tous les hommes, et n’ait dans le butin conservé la vie qu’à trente-deux mille pucelles, à six cent soixante-quinze mille moutons, à soixante et douze mille bœufs, et à soixante et un mille ânes. L’auteur de la Tolérance n’a parlé[1] de cette étrange capture que pour examiner s’il faut croire les écrivains qui assurent que parmi les trente-deux mille filles conservées, il y en eut une par mille immolée au Seigneur, comme ces mots : trente-deux vies furent la part du Seigneur, semblent le démontrer.

Si vous lisiez dans un auteur arabe ou tartare : trente-deux vies furent le partage de ce vainqueur, certainement vous n’entendriez pas autre chose, sinon : ce vainqueur ôta la vie à trente-deux personnes. Ceux qui ont imaginé que les trente-deux filles madianites furent employées au service de l’arche ne songent pas que jamais fille ne servit au sanctuaire chez les Juifs ; qu’ils n’eurent jamais de nonnes ; que la virginité était chez eux en horreur. Il est donc infiniment probable, suivant le texte, que les trente-deux pucelles furent immolées ; et c’est ce qui peut avoir fait dire au R. P. dom Calmet dans son Dictionnaire, à l’article Madianite : « Cette guerre est terrible et bien cruelle ; et, si Dieu ne l’avait ordonnée, on ne pourrait qu’accuser Moïse d’injustice et de brigandage. »

À l’égard des soixante-douze mille bœufs et des soixante et un mille ânes, vous voulez rendre mon ami suspect d’irrévérence, parce que, dans l’horrible désert sablonneux de Jareb et de l’Arnon, hérissé de rochers, on nourrissait six cent soixante et quinze mille brebis qui furent prises avec les bœufs, les ânes et les filles ; et là-dessus vous dites avoir lu qu’en Dorsetshire, dans un petit terrain marécageux, il y a quatre cent mille moutons. Tant pis pour le propriétaire, monsieur, j’en sais des nouvelles : croyez-moi, les moutons meurent bien vite dans les marécages ; j’y ai perdu les miens. Je ne vous conseille pas de mettre vos moutons dans un marais ; faites-y des étangs, élevez-y des carpes.

Au reste, vous prenez trop de peine de chercher les limites d’un Madian vers le ruisseau de l’Arnon, et celles d’un autre Madian vers Éziongaber. L’un pouvait être très-aisément une colonie de l’autre, comme on dit que notre Bretagne a été une

  1. Tome XXV, page 71.