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à la secte d’Épicure, et aux vers de Lucrèce ; eux qui firent chanter sur le théâtre, en présence de vingt mille hommes :

Post mortem nihil est, ipsaque mors nihil est.

(Senec, Troades, : act. II, v. 397.)

Rien n’est après la mort, la mort même n’est rien[1].


Quæris quo jaceant post obitum loco ?
Quo non nata jacent.

Où serons-nous après la mort ?
Où nous étions avant de naître.

Vous dites qu’il y eut des temps où quelques empereurs persécutèrent les philosophes, les amateurs de la sagesse. Non, monsieur ; il n’y eut jamais de décrets portés contre la philosophie. Cette horrible extravagance ne tomba jamais dans la tête d’aucun Romain. Vous avez pris pour des philosophes de misérables charlatans, diseurs de bonne et mauvaise aventure, des Zingari[2] qui s’intitulaient Chaldéens, mathématiciens ; nous avons dans le Code la loi de mathematicis ex urbe expellendis. C’étaient des prophètes de sédition, qui prédisaient la mort des empereurs ; c’étaient des sorciers qui passaient, chez quelques méchants et quelques ignorants, pour donner cette mort par les secrets de l’art. Notre France fut infectée de ces gens-là du temps de Charles IX et de Henri III. Les philosophes étaient Montaigne, Charron, le chancelier de L’Hospital, le président de Thou, le conseiller Dubourg. Les philosophes de nos jours sont des hommes d’État, éloignés également de la superstition et du fanatisme ; des citoyens illustres, profondément instruits, cultivant les sciences dans une retraite occupée et paisible ; des magistrats d’une probité inaltérable, si supérieurs à leurs emplois qu’ils savent les quitter avec autant de sérénité que s’ils allaient avec leurs amis :

… Venafranos in agros,
Aut Lacedæmonium Tarentum.

(Hor., lib. ni, od. V.)

Ces philosophes sont tolérants ; et vous êtes bien loin de l’être, vous qui employez toutes sortes d’armes contre un vieillard isolé,

  1. Voltaire a déjà donné cette traduction, tome XXV, page 43 ; il en donne d’autres tome XXVIII, page 155 ; et ci-dessus, page 336.
  2. Mot italien qui désigne ceux que nous appelons, en français, Bohémiens, Égyptiens.