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est carnis[1]. Ce n’est pas que je croie que du temps du roi Salomon ou Soleïman il y eût autant de livres qu’il y en eut dans Alexandrie, dont la bibliothèque royale possédait sept cent mille volumes dont César brûla la moitié.

« Beaucoup de savants ont prétendu, et peut-être avec témérité, que cet Ecclésiaste ne pouvait être du troisième roi de la Judée, et qu’il fut composé sous les Ptolémées par un Juif d’Alexandrie, homme d’esprit et philosophe. Mais le fait est que la multitude de livres inlisibles dégoûte. Il n’y a plus moyen de rien apprendre, parce qu’il y a trop de choses à apprendre. Je suis occupé d’un problème de géométrie ; vient un roman de Clarisse, en six volumes[2], que des anglomanes me vantent comme le seul roman digne d’être lu d’un homme sage. Je suis assez fou pour le lire : je perds mon temps, et le fil de mes études. Puis, lorsqu’il m’a fallu lire dix gros volumes du président de Thou, et dix autres de Daniel, et quinze de Rapin-Thoiras, et autant de Mariana, arrive encore un Martinelli, qui veut que je le suive en enfer, en purgatoire, et en paradis, et qui me dit des injures parce que je ne veux pas y aller ! Cela désespère. La vue d’une bibliothèque me fait tomber en syncope.

— Mais, me dit M. Gervais, pensez-vous qu’on se mette plus en peine dans ce pays-ci de vos Chinois et de vos Indiens que vous ne vous souciez des préfaces du signor Martinelli ?

— Eh bien ! monsieur. Gervais, n’imprimez pas mes Chinois et mes Indiens. »

M. Gervais les imprima.


fin des lettre chinoises, indiennes, et tartares
  1. Ecclésiaste, xii, 12.
  2. La traduction abrégée, par l’abbé Prévost, a sept volumes in-12.