Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un mot, je viens apprendre aux Français à vivre, à lire, et à écrire. »

Le stupide orgueil d’un mercenaire, qui se croyait un homme considérable pour avoir imprimé le Dante, me causa d’abord une vive indignation. Mais j’eus bientôt quelque pitié du signor Martinelli ; je me mêlai de la conversation, et je lui dis : « Monsieur le maître de langues, vous ne me paraissez maître de goût ni de politesse. J’ai lu autrefois votre divin Dante : c’est un poëme très-curieux en Italie pour son antiquité. Il est le premier qui ait eu des beautés et du succès dans une langue moderne. Il y a même dans cet énorme ouvrage une trentaine de vers qui ne dépareraient pas l’Arioste ; mais M. Gervais sera fort étonné quand il saura que ce poëme est un voyage en enfer, en purgatoire, et en paradis. »

M. Gervais recula de deux pas, et trouva le chemin un peu long. « Sachez, dis-je à mon ami Gervais, que le Dante ayant perdu par la mort sa maîtresse Béatrice Portinari, rencontre un jour à la porte de l’enfer Virgile et cette Béatrice auprès d’une lionne et d’une louve. Il demande à Virgile qui il est ; Virgile lui répond que son père et sa mère sont de Lombardie, et qu’il le mènera dans l’enfer, dans le purgatoire, et au paradis, si le Dante veut le suivre. « Je te suivrai, lui dit le Dante ; mène-moi où tu dis, et que je voie la porte de saint Pierre, »

Che tu mi meni là dov’or dicesti,
Si ch’i’vegga la porta di san Pietro.

(Dant., inf., i.)

« Béatrice est du voyage. Le Dante, qui avait été chassé de Florence par ses ennemis, ne manque pas de les voir en enfer, et de se moquer de leur damnation. C’est ce qui a rendu son ouvrage intéressant pour la Toscane. L’éloignement du temps a nui à la clarté, et on est même obligé d’expliquer aujourd’hui son Enfer comme un livre classique. Les personnages ne sont pas si attachants pour le reste de l’Europe, Je ne sais comment il est arrivé qu’Agamemnon fils d’Atrée, Achille aux pieds légers, le pieux Hector, le beau Paris, ont toujours plus de réputation que le comte de Montefeltro, Guido da Polenta, et Paolo Lancilotto.

« Pour embellir son enfer, l’auteur joint les anciens païens aux chrétiens de son temps. Cet assemblage et cette comparaison

    voyez tome XXIV, page 31 (morceau répété par Voltaire, tome XII, page 58) ; et XViii, 314.