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Je conclus que politique et morale valent encore mieux que mathématique, etc., etc.

LETTRE XII.

sur le dante, et sur un pauvre nommé martinelli.

J’entretenais mon ami Gervais de toutes ces choses curieuses, et je lui faisais lire les lettres que j’avais écrites à M. Pauw, à condition que M. Pauw me donnerait ensuite la permission de montrer les siennes à M. Gervais, lorsqu’il arriva deux savants d’Italie, à pied, qui venaient par la route de Nevers. L’un était M. Vincenzo Martinelli[1], maître de langue, qui avait dédié une édition du Dante à milord Oxford ; l’autre était un hon violon.

« Per tutti i santi ! dit le signor Martinelli, on est bien barhare dans la ville de Nevers par où j’ai passé : on n’y fait que des colifichets de verre, et personne n’a voulu imprimer mon Dante et mes préfaces, qui sont autant de diamants.

— Vous voilà bien à plaindre ! lui dit M. Gervais ; il y a quatre ans que je n’ai pu débiter, dans Romorantin, un exemplaire des vers d’un empereur chinois ; et vous, qui n’êtes qu’un pauvre Italien, vous osez trouver mauvais qu’on n’imprime pas votre Dante et vos préfaces à Nevers ! Qu’est-ce donc que ce Dante ?

— C’est, dit Martinelli, le divin Dante, qui manquait de chausses au xiiie siècle, comme moi au xvIIIe. J’ai prouvé que Bayle, qui était un ignorant sans esprit, n’avait dit que des sottises sur le Dante dans les dernières éditions de son grand dictionnaire, notizie spurie, deformi. J’ai relancé vigoureusement un autre cioso[2], homme de lettres, qui s’est avisé de donner à ses compatriotes français une idée des poètes italiens et anglais, en traduisant quelques morceaux librement et sottement en vers d’un style de Polichinelle[3], comme je le dis expressément. En

  1. Deux lettres de V. Martinelli au comte d’Oxford sont imprimées à la suite d’une Vie du Dante, par l’abbé Marini, dans l’édition du Dante qui fait partie de la Collection des meilleurs auteurs de la langue italienne, imprimée chez Marcel Prault, 1768 et années suivantes. Voltaire n’est pas ménagé dans ces deux lettres. (B.)
  2. Quelques gens de lettres italiens, qui ne savent pas vivre, appellent un Français un cioso. (Note de Voltaire.)
  3. Préface du Dante, par le signor Martinelli. (Id.) — C’est de M. de Voltaire qu’il parle. (K.)

    — Il y a dans les Œuvres de Voltaire deux passages du Dante traduits en vers ;