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que celle d’Orléans et de Lyon, l’hospitalité y serait moins en honneur : c’est une vertu qui coûte peu de chose à ces peuples ; mais on m’avouera qu’ils exercent cette vertu quand l’occasion s’en présente : une bonne action aisée à faire est toujours une bonne action. Ce serait le bonheur du genre humain que la vertu fût partout d’une pratique facile. La Dévotion aisée du Père Lemoine n’était point un si ridicule titre de livre ; faudrait-il donc que la saine morale fût rebutante ?

Si les brachmancs furent les premiers théologiens de ce monde, ils furent aussi les premiers astronomes. Les nuits de leur pays, qui sont plus belles que nos beaux jours, durent nécessairement les engager à observer les astres. Il n’est pas à croire que cette science ait été cultivée d’abord par des bergers, comme on le dit. Nous ne voyons pas que nos pâtres s’occupent beaucoup des planètes et des étoiles fixes. Probablement ceux qui gardaient les moutons en Tartarie, aux Indes, en Chaldée, n’étaient pas plus curieux que les paysans de nos contrées, et je ne vois pas qu’il y ait jamais eu de Newton et de Halley parmi nos bergers d’Allemagne, de France, et d’Espagne, Il faut savoir un peu de géométrie pour être même un astronome ignorant. Les hrachmanes étaient géomètres. Il est donc de la plus grande vraisemblance que la science du ciel eut son origine chez eux.

Il paraît qu’ils furent les premiers qui connurent l’obliquité de l’écliptique. Leur première époque astronomique commençait à une conjonction de toutes les planètes, et cette conjonction était arrivée vingt-trois mille cinq cent et un ans avant notre ère. Je n’examine pas s’ils se sont trompés sur cette époque ; mais je dis qu’il faut une prodigieuse science et bien des siècles pour être en état de se tromper dans un tel calcul[1].

LETTRE XI

sur le grand lama et la métempsycose.

Après avoir voyagé sous vos ordres, monsieur, en Égypte, à la Chine, et aux Indes, je veux faire un petit tour dans un coin de la Tartarie pour vous parler du grand lama. Je veux bien croire qu’il y a des Tartares assez bons pour pendre à leur cou quelques reliques de son derrière en forme de grains de cha-

  1. Voyez tome XI, pages 28 et 165.