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cet ancien livre de la religion des brachmanes ; ils ont encore découvert le paradis terrestre. Vous savez que de grands théologiens l’avaient placé, les uns dans la Taprobane, les autres en Suède, quelques-uns même dans la lune. Mais il est réellement sur un des bras du Gange : M. Holwell, et quelques-uns de ses amis, y ont voyagé d’un bout à l’autre[1]. Ce pays peut prendre son nom de sa capitale Bishnapor ou Vishnapor, où l’on adore Vitsnou, fils de Dieu, de temps immémorial. Il est à quelques journées de Calcutta, chef-lieu de la domination anglaise, et on le trouve marqué sur toutes les bonnes cartes des possessions de la compagnie des Indes. Il n’est guère qu’à neuf ou dix journées des frontières du petit royaume de Patna. La contrée vers la ville anglaise de Calcutta, et vers celle de Vishnapor, est arrosée des canaux du Gange, qui fertilisent la terre. Tous les fruits, tous les arbres, toutes les fleurs, y sont entretenus par une fraîcheur éternelle qui tempère les chaleurs du tropique, dont ce climat n’est pas éloigné. Le peuple y est encore plus favorisé de la nature.

« Ce peuple fortuné, dit la relation, a conservé la beauté du corps si vantée dans les anciens brachmanes, et toute la beauté de l’âme, pureté, piété, équité, régularité, amour de tous les devoirs. C’est là que la liberté et la propriété sont inviolables. Là on n’entend jamais parler de vol, soit privé, soit public ; dès qu’un voyageur, quel qu’il soit, a touché les limites du pays, il est sous la garde immédiate du gouvernement. On lui envoie des guides qui répondent de son bagage et de sa personne, sans aucun salaire. Ces guides le conduisent à la première station. Le premier officier du lieu le loge et le défraye, puis le remet à d’autres guides, qui en prennent le même soin. Il n’a d’autre peine que de délivrer de ville en ville à ses conducteurs un certificat qu’ils ont rempli leur charge. Il est entretenu de tout dans chaque gîte, pendant trois jours, aux dépens de l’État ; et s’il tombe malade, on le garde, et on lui administre tous les secours jusqu’à ce qu’il soit guéri, sans qu’on reçoive de lui la moindre récompense. »

Si ce n’est pas là le paradis terrestre, je ne sais où il peut être.

Un philosophe sera moins surpris qu’un autre homme quand il saura que les habitants de Vishnapor descendent des anciens

  1. Voyez Interesting Events relative to Bengal, pages 197 et suivantes. (Note de Voltaire.)