Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui n’ait chanté la chanson de son maître en déjeunant. Mais s’il est permis à un empereur d’être bon poëte, un particulier risque trop. Il ne faut point se publier. Cachons-nous en vers et en prose. Il vous appartient, monsieur, de paraître au grand jour ; mais ne montrez pas mes lettres.

LETTRE IX.

sur un livre des brachmanes, le plus ancien qui soit au monde

Ne parlons plus, monsieur, du poëme de l’empereur de la Chine, quelque beau qu’il puisse être. J’ai à vous entretenir d’un ouvrage cent fois plus poétique, et beaucoup plus ancien, fait autrefois dans l’Inde, et qui ne commence que de nos jours à être connu en Europe : c’est le Shastabad[1], le plus ancien livre de l’Indostan et du monde entier, écrit dans la langue sacrée du Hanscrit il y a près de cinq mille ans. C’est bien autre chose que les y king ou les y quim chinois, qui ne sont que des lignes droites où personne n’a jamais rien compris. Deux gentilshommes anglais qui ont tous deux, pendant plus de vingt ans, étudié la langue sacrée dans le Bengale, langue connue seulement de quelques savants brames, se sont donné la peine de lire et de traduire les morceaux les plus précieux de ce Shastabad. L’un est M. Holwell[2], longtemps vice-gouverneur du principal établissement anglais sur le Gange ; l’autre, M. Dow[3], colonel dans l’armée de la compagnie. J’avoue, monsieur, que notre compagnie française ne s’est pas donné de pareils soins, et qu’elle n’a été ni si savante ni si heureuse.

L’antiquité du Shastabad fait voir évidemment que les brachmanes précédèrent de plusieurs siècles les Chinois, qui précèdent le reste des hommes. Ce qui surprend, ce n’est pas que ce livre soit si ancien, c’est qu’il soit écrit dans le style dont Platon écrivait en Grèce, plus de deux mille ans après l’auteur indien.

Vous connaissez ce Shastabad sans doute ; mais permettez-moi de vous en représenter ici les principaux traits. Vous verrez qu’ils n’ont été connus d’aucun de nos missionnaires. Chacun

  1. Voyez tome XVII, page 246 ; et ci-dessus, page 167.
  2. Voyez ci-dessus, page 166.
  3. Voyez ibid.