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grande que sa prétendue grand’mère, et même on peut dire que l’Égypte n’est pas d’une race fort ancienne : car pour qu’elle figurât un peu dans le monde, il fallut des temps infinis ; elle n’aurait jamais eu de blé, si elle n’avait eu l’adresse de creuser les canaux qui reçurent les eaux du Nil. Elle s’est rendue fameuse par ses pyramides, quoiqu’elles n’eussent guère, selon Platon dans sa République[1], plus de dix mille ans d’antiquité. Enfin on ne juge pas toujours des peuples par leur grandeur et leur puissance. Athènes a été presque égale à l’empire romain, aux yeux des philosophes ; mais, malgré toute la splendeur dont l’Égypte a brillé, surtout sous la plume de l’évêque Bossuet, qu’il me soit permis de préférer un peuple adorateur pendant quatre mille ans du Dieu du ciel et de la terre, à un peuple qui se prosternait devant des bœufs, des chats et des crocodiles, et qui finit par aller dire la bonne aventure à Rome, et par voler des poules au nom d’Isis.

Vous avez vaillamment combattu ceux qui ont voulu faire passer ces Égyptiens pour les pères des Chinois ; laudo vos. Mais si vous regardez encore les Chinois avec mépris, in hoc non laudo.

LETTRE VIII.

sur les dix anciennes tribus juives qu’on dit être à la chine.

Je gourmande toujours inutilement cette curiosité insatiable et inutile. Si on m’apprend quelques vérités sur un coin des quatre parties du monde, je me dis : « À quoi ces vérités me serviront-elles ? » Si on m’accable de mensonges, comme cela m’arrive tous les jours, je gémis, et je suis prêt de me mettre en colère.

Bénis soient les Chinois, monsieur, qui ne s’informent jamais de ce qui se passe hors de chez eux ! M. Gervais a bien raison de remarquer que l’empereur n’a point fait son poëme pour nous, mais seulement pour ses chers Tartares et pour ses chers Chinois[2]. Un littérateur de notre pays a écrit à Sa Majesté chinoise sur le danger qu’elle courait à Paris d’essuyer un réquisitoire[3] et un monitoire au sujet de son poëme. L’empereur ne lui a pas répondu ; et il a bien fait.

  1. Voyez Platon, au livre II de sa République. (Note de Voltaire.)
  2. Ce n’est pas M. Gervais qui fait cette remarque, mais son interlocuteur, voyez ci-dessus, page 455.
  3. Voyez, tome X, l’Épître au roi de la Chine, qui est de 1771.