Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est fait pour réussir que dans les choses faciles ; mais qui sait si le temps ne viendra pas où les Chinois auront des Cassini et des Newton ? Il ne faut qu’un homme, ou plutôt qu’une femme. Voyez ce qu’ont fait de nos jours Pierre Ier et Catherine II.

LETTRE VII.

sur la fantasie qu’ont eue quelques savants d’europe de faire descendre les chinois des égyptiens.

Je voudrais, monsieur, dompter ma curiosité, n’ayant pu la satisfaire. J’ai vu chez mon père, qui est négociant, plusieurs marchands, facteurs, patrons de navire, et aumôniers de vaisseaux, qui revenaient de la Chine, et qui ne m’en ont pas plus appris que s’ils débarquaient du coche d’Auxerre. Un commissionnaire, qui avait séjourné vingt ans à Kanton, m’a seulement confirmé que les marchands y sont très-méprisés, quoique dans la ville la plus commerçante de l’empire. Il avait été témoin qu’un officier tartare, très-curieux des nouvelles de l’Europe, n’avait jamais osé donner à dîner dans Kanton à un officier de notre compagnie des Indes, parce qu’il servait des marchands. Le capitaine tartare avait peur de se compromettre : il ne se familiarisa jusqu’à dîner avec ce capitaine français qu’à sa maison de campagne. Je soupçonne, par parenthèse, que ce mépris pour une profession si utile est la source de la friponnerie dont on accuse les marchands chinois, et principalement les détailleurs : ils se font payer leur humiliation. De plus, ce dédain mandarinal pour le commerce nuit beaucoup au progrès des sciences.

N’ayant pu rien savoir par nos marchands, j’ai été encore moins éclairé par nos aumôniers, qui ont pu argumenter depuis Goa jusqu’à Bornéo. Le capucin Norbert[1] ne m’a appris autre chose, dans huit gros volumes, sinon qu’il avait été persécuté dans l’inde par les jésuites, poursuivis eux-mêmes partout.

  1. Pierre Parisot, connu sous le nom de P. Norbert (et qu’il ne faut pas confondre avec Nordberg, adversaire de Voltaire, dont il est parlé dans l’Histoire de Charles XII), né à Bar-le-Duc en 1697, prit l’habit de capucin en 1716, fut envoyé, en 1736, dans les Indes avec le titre de procureur général des missions étrangères, revint en Europe en 1740, quitta l’habit de capucin, le reprit, le quitta de nouveau, et mourut près de Commercy le 7 juillet 1769. Ses Mémoires historiques sur les affaires des jésuites avec le Saint-Siège, Lisbonne 1766, n’ont que sept volumes in-4o. (B.)