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Dieu sans être instruit des dogmes de l’immortalité de l’âme, de l’enfer et du paradis ; la loi mosaïque n’annonça point ces grands dogmes : elle les réserva pour des temps plus divins. Les saducéens, rigides théologiens, n’en ont rien cru : la croyance d’un Dieu fut de tout temps une vérité inspirée par la nature à tous les hommes vivant en société ; le reste a été enseigné par la révélation : de là on conclut, avec assez de vraisemblance, que l’empereur Kien-long peut manquer de foi, mais qu’il ne manque pas de raison.

Pour moi, monsieur, je ne me sens ni assez hardi, ni assez compétent pour juger un aussi grand roi ; je présume seulement que le mot Tien ou Changti ne comporte pas précisément la même idée que le mot Al donnait en arabe, Jehova en phénicien, Knef en égyptien, Zeus en grec, Deus en latin, Gott en ancien allemand. Chaque mot entraîne avec lui différents accessoires en chaque langue ; peut-être même, si tous les docteurs de la même ville voulaient se rendre compte des paroles qu’ils prononcent, on ne trouverait pas deux licenciés qui attachassent la même idée à la même expression. Peut-être enfin n’est-il pas possible qu’il y ait deux hommes sur la terre qui pensent absolument de même.

Tous m’objecterez que si la chose était ainsi, les hommes ne s’entendraient jamais. Aussi en vérité ne s’entendent-ils guère : du moins je n’ai jamais vu de dispute dans laquelle les argumentants sussent bien positivement de quoi il s’agissait. Personne ne posa jamais l’état de la question, si ce n’est cet Hibernois qui disait : Verum est, contra sic argumentor ; la chose est vraie, voici comme j’argumente contre. »

Permettez-moi, monsieur, de vous faire d’autres questions dans ma première lettre. Je ne me ferai pas entendre de vous avec autant de plaisir que je vous ai entendu quand j’ai lu vos ouvrages.

LETTRE IV.

sur l’ancien christianisme, qui n’a pas manqué de fleurir à la chine

Je vous supplie, monsieur, de m’éclairer sur une difficulté qui intéresse l’empire de la Chine, tous les États de la chrétienté, et même un peu les juifs nos pères. Vous savez ce que fit à la