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qu’on veut. Je vous fais le compliment que les lettrés chinois se font les uns aux autres : « Ayez la bonté de me communiquer un peu de votre doctrine. »

Je vous fais d’abord un aveu plus sincère que les Actes de dom Ruinart[1] : c’est que le poëme de Sa Majesté l’empereur de la Chine et la théologie de Confucius m’ennuient au fond de l’âme autant qu’ils ennuient M. Gervais, et que cependant je les admire. Ma raison pour m’être ennuyé avec le plus grand monarque du monde, et même de son vivant, c’est qu’un poëme traduit en prose produit d’ordinaire cet effet, comme M. Gervais l’a bien senti. Pour Confucius, c’est un bon prédicateur ; il est si verbeux qu’on n’y peut tenir. Ce qui fait que je les admire tous deux, c’est que l’un, étant roi, ne s’occupe que du bonheur de ses sujets, et que l’autre, étant théologien, n’a dit d’injures à personne. Quand je songe que tout cela s’est fait à six mille lieues de ma ville de Romorantin, et à deux mille trois cents ans du temps où je chante vêpres, je suis en extase.

Les révérends pères dominicains, les révérends pères capucins, les révérends pères jésuites, ont eu de violentes disputes à Rome sur la théologie de la Chine. Les capucins et les dominicains ont démontré, comme on sait, que la religion de Confucius, de l’empereur, et de tous les mandarins, est l’athéisme ; les jésuites, qui étaient tous mandarins ou qui aspiraient à l’être, ont démontré qu’à la Chine tout le monde croit en Dieu, et qu’on n’y est pas loin du royaume des cieux. Ce procès, en cour de Rome, a fait presque autant de bruit que celui de la Cadière. On y est bien embarrassé.

Vous souviendrez-vous, monsieur, de celui qui écrivait : « Les uns croient que le cardinal Mazarin est mort, les autres qu’il est vivant ; et moi, je ne crois ni l’un ni l’autre[2] » ? Je pourrais vous dire : Je ne crois, ni que les Chinois admettent un Dieu, ni qu’ils soient athées. Je trouve seulement qu’ils ont comme vous beaucoup d’esprit, et que leur métaphysique est tout aussi embrouillée que la nôtre.

Je lis ces mots dans la préface de l’empereur, car les Chinois font des préfaces comme nous : « J’ai toujours ouï dire que si l’on conforme son cœur aux cœurs de ses père et mère, les frères vivront toujours ensemble de bonne intelligence ; si on conforme

  1. Les savants connaissent les Actes sincères de dom Ruinart, aussi sincères que la Légende dorée et Robert le Diable. (Note de Voltaire.)
  2. Voltaire a déjà rappelé ce trait tome XIX, page 581.