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scrupule (s’il m’est permis de le dire) sur le Pédagogue chrétien[1] du W. P. d’Outreman, jésuite ; sur l Légende dorée[2] du révérendissime père en Dieu Voragine, et même sur les épouvantables prodiges de feu M. l’abbé Pâris[3], et sur les vampires de dom Calmet[4]. J’ai une violente passion de m’instruire dans ma jeunesse ; on dit que cela sert beaucoup quand on est vieux. Si je pouvais voyager, je ferais le tour du monde. Je voudrais m’aller faire mandarin à la Chine, comme les jésuites ; mais les bénédictins disent qu’ils sont trop bien chez eux pour en sortir. Ne pouvant donc prendre cet essor, je lis tous les voyages qui me tombent sous la main, et la lecture fait sur moi cet effet si commun de me jeter dans de continuelles incertitudes.

Je sais bien que le démon Asmodée est enchaîné dans la haute Égypte ; mais je doute que Paul Lucas lui ait parlé, l’ait vu mettre dans un sac, coupé en vingt tronçons, et l’en ait vu sortir avec une peau sans coutures. Il a vu aussi et mesuré la tour de Babel. Plusieurs curieux en avaient fait autant avant lui, et entre autres le fameux juif Benjamin Jonas, natif de Tudèle dans la Navarre au xiiesiècle. Non-seulement Benjamin avait reconnu les premiers étages de cette tour, mais il contempla longtemps la statue de sel en laquelle Edith, femme de Loth, fut changée ; et il remarqua, en naturaliste attentif, que toutes les fois que les bestiaux venaient la lécher, et diminuer par là l’épaisseur de sa taille, elle reprenait sur-le-champ sa grosseur ordinaire[5].

Que dirai-je du frère mineur Plancarpin[6], et du frère prêcheur Asselin, envoyés avec d’autres frères, par le pape Innocent IV, devers les princes de Gog et de Magog, qui sont les kans des Tartares ?

Ce qu’on peut le plus observer dans le récit que fait le frère mineur de l’inauguration de ces princes, c’est que les mirzas, appelés par Plancarpin les barons, font asseoir Leurs Majestés par terre sur un grand feutre, et leur disent : « Si tu n’écoutes pas conseil, si tu gouvernes mal, il ne te restera pas même ce

  1. Voyez la note, tome XVIII, page 548.
  2. Voyez la note, tome XIII, page 175.
  3. Voyez tome XVI, page 78.
  4. Voyez la note, tome XIV, page 538.
  5. Voyages de Paul Lucas. (Note de Voltaire.)
  6. Jean du Plan Carpin ou Carpini, et Nicolas Arselin ou Arcelin, tous deux Italiens et de l’ordre des frères prêcheurs, furent, en 1246 ou 1247, envoyés vers le kan Batu, qui régnait dans le Kaptchac. (B.)