Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion. Mais le livre avait déjà passé la Manche, et même voyagé au loin. On ignorait le nom de l’heureux possesseur. Tout espoir était perdu, La seconde édition du recueil de 1836 allait paraître ; on eut regret de ne pouvoir y ajouter ces Remarques si intéressantes. On ne songeait même plus à les retrouver jamais, quand l’auteur de cet Avertissement rencontre un de ses amis, professeur de l’Université, qui l’aborde en lui disant : « J’ai vu hier le père d’un de mes élèves qui a lu votre recueil avec un grand plaisir ; mais il a ajouté que vous deviez lui en vouloir beaucoup sans le connaître. — Comment ? — C’est lui qui vous a enlevé, à la vente de Renouard, ce volume de Daniel annoté par Voltaire, dont vous aviez si grande envie. — C’est cet Anglais ? — Précisément. Je vais même livrer son nom à toutes vos imprécations : c’est lord Richard Tufton. — Le terrible enchérisseur ! — Eh bien ! il m’a chargé de vous dire que si vous désiriez ce livre, il le mettait à votre disposition. — Vraiment ! — Oui, dès demain. »

On suppose combien je fus surpris d’un pareil hasard et touché d’une offre aussi obligeante. J’acceptai avec une vive reconnaissance. Le lendemain, en effet, le livre était chez moi, et la durée du prêt était illimitée, comme l’avait été l’enchère.

Aussitôt je m’empressai d’acheter le livre du père Daniel, aujourd’hui très-inconnu et pourtant fort curieux, et je copiai soigneusement les notes autographes de Voltaire en regard du texte.

C’est ce travail que nous publions ici[1]. On voit quelles traverses les Remarques ont éprouvées avant d’arriver au public. Les amis de notre littérature en seront redevables au généreux procédé d’un Anglais, de M. Richard Tufton. C’est à lui que notre reconnaissance et celle du public doivent s’adresser. On sait que Voltaire faisait des notes sur la marge de tous ses livres. Celles-là n’ont assurément jamais été destinées à être imprimées[2]. Ce sont les réflexions soudaines, les saillies du lecteur jetées au courant de la plume. Mais cet abandon et les négligences de style n’ôtent rien à la clarté, à la justesse des observations, ni surtout à la verve du critique.

On verra que l’ouvrage du père Daniel est conçu dans des vues politiques très-profondes. C’est un travail sur notre histoire nationale entrepris pour la plus grande gloire d’une société puissante, longtemps maîtresse en France, par un écrivain habile, dévoué à la domination de son ordre, contre notre annaliste alors le plus répandu, le plus en crédit, contre Mézerai, dont il veut détruire l’autorité.

L’importance de cet écrit augmente singulièrement l’intérêt des réfutations de Voltaire. Il a lui-même marqué la portée du livre et sa source mystérieuse par quelques lignes tracées sur les premières pages. Nous n’avons rien à y ajouter ; nous nous félicitons seulement d’avoir pu dérober aux bibliothèques étrangères une curiosité historique et littéraire d’un pareil prix.

A. F.
  1. Voltaire à Ferney, Paris, librairie académique Didier et Cie ; 1860, in-8o ».
  2. Ces remarques ont dû être écrites vers 1775.