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reuses que la Suisse, l’Angleterre et la Suède, où ils sont libres ?

Les moyens par lesquels cette servitude se trouve aujourd’hui établie sont aussi odieux que la servitude elle-même. Ici ce sont des moines qui ont fabriqué de faux diplômes pour se rendre maîtres de toute une contrée, et en asservir les habitants ; là d’autres moines n’ont établi l’esclavage qu’en trompant de pauvres cultivateurs par de fausses copies de titres anciens, qu’en faisant croire à des peuples ignorants que des titres de franchise étaient des titres de servitude. Cette fraude est devenue sacrée au bout d’un certain temps. Les moines ont prétendu qu’une ancienne injustice ne pouvait pas être réformée, et cette prétention a été quelquefois accueillie dans des tribunaux, dont les membres n’oubliaient pas qu’ils avaient eux-mêmes des serfs dans leurs terres sans avoir de meilleurs titres.

Cette servitude, connue sous le nom de mainmorte ou de taillabilitè, subsiste encore en Franche-Comté et dans le duché de Bourgogne, en Champagne, dans l’Auvergne et dans la Marche.

On peut, en l’abolissant, dédommager les seigneurs de deux manières : ou fixer une indemnité en argent, et permettre aux communautés de faire des emprunts et de vendre les communaux qui leur sont inutiles ; ou changer la mainmorte en d’autres redevances.

Le premier plan a été adopté par le feu roi de Sardaigne, qui a affranchi toutes les terres de la Savoie de la mainmorte réelle et personnelle par deux édits : l’un, du mois de janvier 1762 ; l’autre, du mois de décembre 1771.

Le second fut proposé sur la fin du siècle dernier par l’illustre premier président de Lamoignon. Voici ce projet, auquel on a pris la liberté d’ajouter quelques articles nécessaires.


projet d’affranchissement.

Art. Ier. — Nous voulons, à l’exemple du roi saint Louis, notre aïeul, et de plusieurs autres rois nos prédécesseurs, en accordant à tout notre royaume ce qu’ils ont donné seulement pour quelques endroits particuliers, que tous nos sujets soient libres, et de franche condition, sans tache de servitude personnelle et réelle, que nous abolissons dans toutes les terres et pays de notre obéissance, sans qu’à cause du présent affranchissement les seigneurs puissent prétendre aucun droit en vertu des coutumes auxquelles nous avons spécialement dérogé et dérogeons.

Art. II. — Ne seront tenus nos sujets à aucun devoir de qualité servile, soit par droit de suite, de fort mariage, de communion, commise, échute ou autres manières quelconques.