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L’un et l’autre ont également favorisé l’agriculture, l’un et l’autre ont appris aux grands combien ceux qui prodiguent continuellement leur vie pour nourrir ces grands, et pour servir leur magnificence, doivent être encouragés.

Lorsque dans ces rescrits, dont l’objet est toujours le soulagement du peuple, le maintien de quelques privilèges particuliers a pu échapper à l’âme bienfaisante du roi de France, il s’est bientôt empressé de rétablir par sa justice la balance que sa bonté paternelle avait peut-être fait trop pencher en faveur de la portion du genre humain qui attirait le plus sa compassion. Il ne pouvait jamais franchir les bornes de l’équité rigoureuse que par un excès d’humanité.

Si, dans un si court espace de temps, les besoins toujours renaissants du gouvernement n’ont pas permis de liquider des dettes immenses, quiconque a des yeux voit qu’il n’est pas possible de combler sitôt un abîme qu’on a creusé sans relâche pendant deux siècles. La vertu d’Aristide et l’habileté de Périclès n’y suffisent pas. On sait assez que Louis XIV, en mourant, laissa deux milliards six cents millions de dettes, à 28 livres le marc ; ce qui fait presque quatre milliards cinq cents millions de la monnaie d’aujourd’hui. La moitié de cette dette immense avait été causée par la guerre la plus juste : il fallait soutenir le droit légitime de son petit-fils au royaume d’Espagne, la volonté sacrée d’un grand-père, qui n’avait consulté dans son testament que Dieu et la nature ; enfin le choix d’une nation respectable, qui appelait au trône la famille[1] qui règne aujourd’hui sur l’Espagne, sur les Deux-Siciles, et sur le duché de Parme. Louis XIV, cette fois, ruina son royaume pour être juste.

Le fardeau prodigieux que la France supporte s’est encore appesanti sous le règne de son successeur, dont on chérit la mémoire. Louis XV a eu le malheur d’emprunter plus de onze cents millions dans la funeste guerre de 1756 ; et que n’avait point coûté celle de 1741 ? Une fatalité étrange tournait alors les armes de la France contre une impératrice[2] vertueuse et chère, à qui elle doit aujourd’hui sa félicité. On bénit cette reine aimable et bienfaisante : elle embellit les jours heureux que son époux fait naître ; mais le nerf principal de l’État n’en est pas moins affaibli, les finances du royaume n’en sont pas moins épuisées : il y a de l’ordre, de la sagesse ; mais cet ordre et cette sagesse ne peuvent

  1. La famille de Bourbon, branche aînée.
  2. Marie-Thérèse, mère de Marie-Antoinette.