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son courage et de sa prudence, changer en un seul jour les lois de ses États, et en faire chaque jour de nouvelles, toutes nécessaires, toutes reçues avec les acclamations de la reconnaissance.

Sans chercher des exemples si loin, regardons autour de nous. Le premier édit de Louis XVI a été un bienfait. C’est un usage ancien dans le royaume qu’on paye au souverain des droits considérables pour son avènement au trône : ce tribut même était exigé autrefois par tous les barons sur leurs vassaux immédiats ; et à mesure que l’autorité royale détruisit les usurpations féodales, ce droit resta uniquement affecté au monarque. Les états généraux de France accordèrent trois cent mille livres à Charles VIII pour son avènement. Cet impôt augmenta toujours depuis, et cependant fut toujours appelé joyeux.

Nous n’avons trouvé ni dans l’excellent ouvrage de M. de Forbonnais[1], ni dans les articles dont l’exact et savant M. Boucher d’Argis a enrichi l’Encyclopédie, quelles sommes Louis XIII et Louis XIV reçurent à cette occasion. Louis XVI apprit à son peuple que son avènement méritait en effet le nom de joyeux, en remettant entièrement ce qu’on lui devait, et en voulant même qu’on expédiât gratis à tous les seigneurs des terres leur renouvellement de foi et hommage ; ce fut M. l’abbé Terrai qui rédigea cet édit favorable, et c’est par là qu’il termina la carrière pénible de son ministère.

Depuis ce temps, tous les édits et toutes les ordonnances du roi Louis XVI, proposés et signés par M. Turgot, furent des monuments de générosité élevés par une sagesse supérieure. On n’avait point encore vu d’édits dans lesquels le souverain daignât enseigner son peuple, raisonner avec lui, l’instruire de ses intérêts, le persuader avant de lui commander : la substance de presque tous les ordres émanés du trône était contenue dans ces mots : « Car tel est notre plaisir. » Louis XVI aurait pu dire : « Car telle est notre sagesse et notre bonté, » si la modestie, toujours compagne de la bienfaisance, lui avait permis ces expressions.

Par quelle singularité faut-il que ce grand exemple de raisonner avec ses sujets en leur donnant ses ordres, et d’être à la fois philosophe et législateur, n’ait été connu qu’aux deux extrémités de notre hémisphère ? Il n’y a jusqu’à présent que Louis XVI et l’empereur de la Chine qui aient fait cet honneur aux hommes.

  1. L’édit du 31 mai 1774, par lequel Louis XVI déclarait renoncer à l’impôt connu sous le nom de joyeux avènement.