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Saucourt m’ordonna de dire oui, sans savoir un seul mot de ce qu’on me demandait. Ces horreurs m’ont mis dans un état qui a altéré ma santé pour le reste de ma vie. »

Je suis donc en droit de récuser de vains témoignages qu’on lui arracha par tant de menaces et qu’il a désavoués, ainsi que je me crois en droit de faire déclarer nulle toute la procédure de mes trois juges, d’en prendre deux à partie, et de les regarder, non pas comme des juges, mais comme des assassins.

Ce n’est que d’après M. le marquis de Beccaria et d’après les jurisconsultes de l’Europe que je leur donne ce nom, qu’ils ont si bien mérité, et qui n’est pas trop fort pour leur inconcevable méchanceté. On interrogea avec la même atrocité le chevalier de La Barre, et, quoiqu’il fût très-au-dessus de son âge, on réussit enfin à l’intimider.

Comme j’étais très-loin de la France, on persuada même à ce jeune homme qu’il pouvait se sauver en me chargeant, et qu’il n’y avait nul mal à rejeter tout sur un ami qui dédaignait de se défendre.

On renouvela avec lui l’impertinente histoire des hosties. On lui demanda si un prêtre ne lui en avait pas envoyé, et s’il n’était pas quelquefois sorti du sang de quelques hosties consacrées. Il répondit avec un juste mépris ; mais il ajouta qu’il y avait en effet un curé à Yvernot qui aurait pu, à ce qu’on disait, prêter des hosties, mais que ce curé était en prison. On ne poussa pas plus loin ces questions absurdes.

Je sens que la lecture d’un tel procès criminel dégoûte et rebute un homme sensé : c’est avec une peine extrême que je poursuis ce détail de la sottise humaine.

Interrogé s’il n’a pas dit qu’il était difficile d’adorer un Dieu de pâte, a répondu qu’il peut avoir tenu de tels discours, et que s’il les a tenus, c’est avec d’Étallonde ; que s’il a disputé sur la religion, c’est avec d’Étallonde.

Hélas ! voilà un étrange aveu, une étrange accusation. « Si j’ai agité des questions délicates, c’est avec vous ; » ce si prouve-t-il quelque chose ? ce si est-il positif ? est-ce là une preuve, barbares que vous êtes ? Je ne mets point de condition à mon assertion ; je dis, sans aucun si, que vous êtes des tigres dont il faudrait purger la terre.

Et dans quel pays de l’Europe n’a-t-on pas disputé publiquement et en particulier sur la religion ? Dans quel pays ceux qui ont une autre religion que la romaine n’ont-ils pas dit et redit, imprimé et prêché ce que Duval et Broutel imputaient au cheva-