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par les menaces du marchand de bœufs et du marchand de sang humain, leur demanda pardon de ne leur avoir pas dit tout ce qu’on lui ordonnait de dire. Il croyait avoir fait un péché mortel, et il fit à genoux une confession générale, comme s’il eût été au sacrement de pénitence. Broutel et Duval rirent de sa simplicité, et en profitèrent pour nous perdre.

Interrogé encore s’il n’avait pas entendu de jeunes gens traiter Dieu de… dans une conversation, et s’il n’avait pas lui-même appelé Dieu …, il répondit qu’il avait tenu ces propos avec d’Étallonde.

Mais peut-on avoir tenu tels discours tête à tête ? Et si on les a tenus, qui peut les dénoncer ? On voit assez à quel point celui qui interrogeait était barbare et grossier, à quel point l’enfant était simple et innocent.

On lui demanda s’il n’avait pas chanté des chansons horribles : ce sont les propres mots. L’enfant l’avoua. Mais qu’est-ce qu’une chanson ordurière sur les mal-semaines de la Magdeleine, faite par quelque goujat il y a plus de cent ans, et qu’on suppose chantée en secret par deux jeunes gens aussi dépourvus alors de goût et de connaissances que Broutel et Duval ? Avaient-ils chanté cette chanson dans la place publique ? Avaient-ils scandalisé la ville ? Non : et la preuve que cette puérilité était ignorée, c’est que Saucourt avait obtenu des monitoires pour faire révéler, contre les enfants de ses ennemis, tout ce qu’une populace grossière pouvait avoir entendu dire.

Pour moi, en méprisant de telles inepties, je jure que je ne me souviens pas d’un seul mot de cette chanson, et j’affirme qu’il faut être le plus lâche des hommes pour faire d’un couplet de corps de garde le sujet d’un procès criminel.

Enfin on m’a envoyé plusieurs billets de la main de Moinel, écrits de son cachot, avec la connivence du geôlier, dans lesquels il est dit : « Mon trouble est trop grand ; j’ai l’esprit hors de son assiette ; je ne suis pas dans mon bon sens. »

J’ai entre les mains une autre lettre de lui, de cette année, conçue en ces termes :

« Je voudrais, monsieur, avoir perdu entièrement la mémoire de l’horrible aventure qui ensanglanta Abbeville il y a plusieurs années, et qui révolta toute l’Europe. Pour ce qui me regarde, la seule chose dont je puisse me souvenir, c’est que j’avais environ quinze ans, qu’on me mit aux fers, que le sieur Saucourt me fit les menaces les plus affreuses, que je fus hors de moi-même, que je me jetai à genoux, et que je dis oui toutes les fois que ce