son héritage aux mains des moines. Une fille qui, s’étant mariée, n’a pas passé la nuit de ses noces dans le logis de son père est chassée de cette maison, et demande en vain l’aumône à ces mêmes religieux à la porte de la maison où elle est née. Si un serf va s’établir dans un pays étranger et y fait une fortune, cette fortune appartient au couvent. Si un homme d’une autre province passe un an et un jour dans les terres de ce couvent, il en devient esclave. On croirait que ces usages sont ceux des Cafres ou des Algonquins. Non, c’est dans la patrie des L’Hospital et des d’Aguesseau que ces horreurs ont obtenu force de loi ; et les d’Aguesseau et les L’Hospital n’ont pas même osé élever leur voix contre cet abominable abus. Lorsqu’un abus est enraciné, il faut un coup de foudre pour le détruire.
Cependant les cultivateurs ayant acheté enfin leur liberté des rois et de leurs seigneurs dans la plupart des provinces de France, il ne resta plus de serfs qu’en Bourgogne, en Franche-Comté, et dans peu d’autres cantons ; mais la campagne n’en fut guère plus soulagée dans le royaume des Francs. Les guerres malheureuses contre les Anglais, les irruptions imprudentes en Italie, la valeur inconsidérée de François Ier, enfin les guerres de religion qui bouleversèrent la France pendant quarante années, ruinèrent l’agriculture au point qu’en 1598 le duc de Sully trouva une grande partie des terres en friche, faute, dit-il, de bras et de facultés pour les cultiver[1]. Il était dû par les colons plus de vingt millions pour trois années de taille. Ce grand ministre n’hésita pas à remettre au peuple cette dette alors immense ; et dans quel temps ! lorsque les ennemis venaient de se saisir d’Amiens, et que Henri IV courait hasarder sa vie pour le reprendre.
Ce fut alors que ce roi, le vainqueur et le père de ses sujets, ordonna qu’on ne saisirait plus, sous quelque prétexte que ce fût, les bestiaux des laboureurs et les instruments de labourage. « Règlement admirable, dit le judicieux M. de Forbonnais[2], et qu’on aurait dû toujours interpréter dans sa plus grande étendue à l’égard des bestiaux, dont l’abondance est le principe de la fécondité des terres, en même temps qu’elle facilite la subsistance des gens de la campagne. »
Il est à remarquer que le duc de Sully se déclare, dans plusieurs endroits de ses Mémoires, contre la gabelle, et que cepen-