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avec la pauvreté de la famille. On m’assurait que la Véron était la veuve d’un agioteur obscur et malaisé de la rue Quincampoix, qui louait, à la vérité, un corps de logis de mille cinquante livres, mais qui en relouait une partie, et qui mourut insolvable, au point qu’on n’a jamais payé les frais de l’inventaire fait à sa mort, frais encore dus au successeur de ce même Gillet, notaire, chez qui la veuve Véron prétendait avoir fait valoir clandestinement ces prétendus cent mille écus.

On m’avait écrit encore que ce Véron, qu’on nous donnait pour un fameux banquier, avait fait plusieurs métiers bien éloignés de la finance ; qu’entre autres il avait été boulanger chez M. le duc de Saint-Aignan. Je ne parlais d’aucune de ces anecdotes, qui forment pourtant un très-puissant préjugé dans cette cause parce que c’est à M. de Morangiés, qui est sur les lieux, à les vérifier et à en tirer avantage.

Je savais d’ailleurs que la famille Véron vivait très à l’étroit, et subsistait mesquinement d’un petit fonds que la veuve faisait valoir en prêtant, dit-on, sur gages par les mains des courtières. Je le savais par le rapport naïf d’un domestique d’un de mes neveux, M. de Florian, ancien capitaine de cavalerie au régiment de Brionne, qui était alors à Ferney, et qui y est encore. Ce domestique, nommé Montreuil, nous disait souvent qu’il connaissait ce Du Jonquay ; qu’il avait mangé plusieurs fois avec lui ; que ses sœurs travaillaient, l’une en broderie, l’autre en linge, et vendaient leurs ouvrages. Ces discours toujours uniformes d’un ancien laquais me frappèrent, et enfin j’ai pris le parti de tirer de lui une déclaration authentique par-devant notaire.

« L’an mil sept cent soixante et treize, le seize février, etc., en présence des témoins, a comparu Charles Montreuil, natif de Montreuil-sur-Mer en Picardie, ci-devant domestique à Paris, et actuellement chez M. de Florian, ancien capitaine de cavalerie, lequel a déclaré qu’il a connu à Paris le sieur Du Jonquay, avec lequel il a mangé plusieurs fois ; qu’il logeait dans la rue Saint-Jacques avec sa grand’mère, la veuve Véron, laquelle prêtait de petites sommes sur gages, à deux sous par mois par vingt sous. Que la veuve Durant, courtière, proposa plusieurs fois, à lui Montreuil, de lui faire prêter par ladite Véron quelques petites sommes sur de bons effets. Que ledit Du Jonquay avait deux sœurs qui travaillaient fort bien en linge et en broderie, et qu’elles avaient permission de leur grand’mère de vendre leurs ouvrages à leur profit, etc. Signé : Nicod, notaire. — Contrôlé à Gex, le même jour. Signé : La Chaux. »