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boisson, son vêtement, son chauffage, partout où il croit l’obtenir à meilleur compte : une loi contraire ne serait admissible qu’en temps de peste, ou dans une ville assiégée.

Les marchés, comme les foires, n’ont été inventés que pour la commodité du public, et non pour son asservissement : les hommes ne sont pas faits assurément pour les foires ; mais les foires sont faites pour les hommes.

Le critique se plaint de la suppression des marchés au blé. Mais ils ne sont point supprimés ; notre petite ville est aussi bien fournie qu’auparavant, et le laboureur a gagné sans que personne ait perdu : c’est ce que j’atteste au nom de vingt mille hommes.

Dire que la liberté de commercer anéantit les marchés publics, c’est dire que les foires de Saint-Laurent et de Saint-Germain sont supprimées à Paris, parce qu’il est permis de faire des emplettes dans la rue Saint-Honoré et dans la rue Saint-Denis.

La raison la plus imposante de l’ingénieux critique est la perte que peuvent souffrir quelques seigneurs dans leurs droits de halles.

Mais, premièrement, ces seigneurs sont en petit nombre ; je ne connais personne dans notre province qui ait ce droit. Il n’appartient guère qu’à des terres considérables, dans lesquelles il se fait un grand commerce et où les marchands des environs viendront toujours mettre leurs diverses marchandises en dépôt. Aucun marché n’est abandonné dans les provinces voisines de la mienne.

Secondement, si quelques seigneurs souffraient une légère perte dans la petite diminution de leurs droits de halles, la nation entière y gagne, et la nation doit être préférée.

Troisièmement, sil ne s’agissait que d’indemniser ces seigneurs, supposé qu’ils se plaignent, le roi le pourrait très-aisément sans altérer en rien la grande et heureuse loi de la liberté du commerce, loi trop tard adoptée chez nous, qui arrivons trop tard à bien des vérités.

Quatrièmement, il paraît impossible que, dans les gros bourgs et dans les villes, le laboureur néglige de porter son blé au marché : car il est sûr de l’y faire emmagasiner en payant un petit droit. Son intérêt est de porter sa denrée dans les lieux où elle sera infailliblement vendue, et non pas d’attendre souvent inutilement que les paysans ses voisins, qui ont leur récolte chez eux, viennent acheter la sienne chez lui. Il me paraît donc prouvé