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au vulgaire, pour inventer ce système sublime par lequel nous nous élevons au-dessus de nos sens, au-dessus de nous-mêmes ?

Il est très-vraisemblable que cette idée, telle qu’on la conçoit aujourd’hui, ne tomba d’abord tout d’un coup dans la tête de personne. Les hommes furent occupés pendant trop de siècles de leurs besoins et de leurs maux, pour être de grands métaphysiciens.

III. — Brachmanes, immortalité des âmes.

Si quelque nation antique put prétendre à l’honneur d’avoir inventé ce que nous appelons chez nous une âme, il est à croire que ce fut la caste des brachmanes, sur les bords du Gange : car elle imagina la métempsycose ; et cette métempsycose ne peut s’exécuter que par une âme qui change de corps. Le mot même de métempsycose, qui est grec, et qui ne peut être qu’une traduction d’après une langue orientale, signifie expressément la migration de l’âme.

Les brachmanes croyaient donc l’existence des âmes de temps immémorial.

Leur climat est si doux, les fruits délicieux dont on s’y nourrit sont si abondants, les besoins qui occupent ailleurs toute la triste vie des hommes y sont si rares, que tout y invite au repos, et ce repos à la méditation. Il en est encore ainsi chez tous les brames descendants des anciens brachmanes, qui n’ont point corrompu leurs mœurs par la fréquentation des brigands d’Europe que l’avarice a transplantés vers le Gange.

Ce repos et cette méditation, qui furent toujours le partage des brachmanes, leur fit d’abord connaître l’astronomie. Ils sont les premiers qui calculèrent pour la postérité les positions des planètes visibles. On leur doit les premières éphémérides, et ils les composent encore aujourd’hui avec une facilité prompte qui étonne nos mathématiciens[1].

C’est là ce que ne savent ni nos marchands qui sont allés dans l’Inde par le port de Bérénice, ni certains prêtres de Cybèle qui les ont accompagnés. Ces prêtres se nourrissaient de la chair et du sang des animaux ; et ayant apporté leurs liqueurs enivrantes, par conséquent étant en horreur aux brames, ignorant leur langue, ne pouvant jamais bien l’apprendre, ne pouvant parler avec eux, ne furent pas plus instruits de la science des brames et des anciens brachmanes que les mousses de leurs vaisseaux ;

  1. Voyez page 108.