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« Le peuple est impatient de se laisser séduire au premier imposteur armé pour me détruire, qui, s’osant revêtir de ce fantôme aimé, voudra servir d’idole à son zèle charmé. »

Ne sera-t-on pas révolté de cette foule d’impropriétés ? Peut-on se vêtir d’un fantôme ? L’image est-elle juste ? Comment peut-on se mettre un fantôme sur le corps ? etc.

M. Clément traite ce sentiment de M. de Voltaire de ridicule excessif[1]. Il l’attaque d’une manière plausible en ces termes :

« La métaphore est principalement consacrée aux choses intellectuelles qu’elle veut rendre sensibles par des images frappantes… Ainsi, quand on dit : Mon âme s’ouvre à la joie, mon cœur s’épanouit, on emprunte l’image d’une fleur qui s’ouvre et s’épanouit aux rayons du soleil. Or, quoiqu’on puisse peindre cette fleur, on ne peut pas assurément peindre de même une âme, etc. »

Il me semble qu’on doit répondre à M. Clément : Ce n’est pas de pareilles métaphores que M. de Voltaire parle ; elles sont devenues des expressions vulgaires reçues dans le langage commun. Le premier qui a dit : Mon cœur s’ouvre à la joie, la tristesse m’abat, l’espérance me ranime, a exprimé ces sentiments par des images fortes et vraies : il a senti son cœur, qui était auparavant comme serré et flétri, se dilater en recevant des consolations ; et c’est même ce que des peintres, en des temps grossiers, ont voulu figurer dans des tableaux d’autel, en peignant des cœurs frappés de rayons qu’on supposait être ceux de la grâce. La tristesse ne jette point une âme sur le plancher ; mais un peintre peut fort bien figurer un homme abattu, terrassé par la douleur, et en figurer un autre qui se relève avec sérénité, quand l’espérance lui rend ses forces. Une âme ferme, un cœur dur, tendre, caché, volage, un esprit lumineux, raffiné, pesant, léger, furent d’abord des métaphores : elles ne le sont plus, c’est le langage ordinaire. M. de Voltaire parle de celles qu’un poète invente. Je crois avec lui qu’il faut absolument qu’elles soient toujours justes et pittoresques. Un dessein qui tombe à terre n’a, ce me semble, ni justesse, ni vérité, ni grâce, et il est impossible de s’en faire une idée. M. Clément[2] prétend qu’on peut dire, dans une tragédie, un dessein est tombé par terre, parce qu’on dit, dans la conversation, ce dessein a échoué. Je crois qu’il se trompe. Je pense que le premier qui s’avisa de dire : mes desseins ont échoué, se servit

  1. Clément, Sixième Lettre, page 119.
  2. Sixième Lettre, page 123.