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dans la place publique[1], donnaient la communion, sans examen, quatre fois la semaine, à quiconque se présentait, petite fille, petit garçon, vieil ivrogne, vieille entremetteuse, et se vantaient ensuite à leur général qu’ils avaient converti une ville entière.

Comptez, monsieur, que notre gouvernement ne laissera pas renaître ces abus indignes. Il est déjà assez las de ces confréries établies autrefois dans des temps de troubles, et qui en ont tant suscité ; de ces troupes en masques qui font peur aux petits enfants, et qui font avorter les femmes ; de ces gilles en jaquette, qui, dans nos contrées méridionales, courent les rues pour la gloire de Dieu. Il est temps de nous défaire de ces momeries qui nous rendent si ridicules aux yeux des peuples du Nord.

Il nous faut des moines, dit-on, car les Égyptiens eurent des thérapeutes, et il y eut des esséniens dans le petit pays de la Palestine. Je conçois bien que pendant les guerres des Ptolémées il y eut quelques familles d’Alexandrie, soit juives, soit grecques, qui se retirèrent vers le lac Mœris, loin des horreurs de la guerre civile, comme les primitifs, que nous nommons quakers, ont été chercher la paix en Pensylvanie, et oublier les crimes religieux de Cromwell loin de leurs concitoyens fanatiques qui s’égorgeaient pour un surplis ; je conçois que des esséniens aient vécu ensemble à la campagne, pour être à l’abri des assassinats continuels commis par Hircan et par Antigone, qui se disputaient les sonnettes du grand prêtre ; mais quel rapport peut-on trouver entre nos moines d’aujourd’hui et des gens de bien, mariés pour la plupart, qui se retiraient à la campagne, loin de la tyrannie ?

Si l’habitude, la négligence, la petite difficulté de remuer d’anciens décombres, arrêtent quelquefois le ministère ; si l’on n’ose pas, dans une grande ville, changer en maisons nécessaires ces vastes enceintes inutiles où vingt fainéants occupent un terrain qui pourrait loger trois cents familles ; si l’on a craint d’appliquer à l’ordre de Saint-Louis un peu de ces richesses prodigieuses, quelquefois usurpées par des chartres évidemment fausses ; si tel officier qui a servi trente ans le roi ne peut obtenir une modique pension sur la ferme de tel prieur claustral ; si enfin nous conservons encore tant de moines, du moins n’ayons plus de jésuites.


fin de la lettre d’un ecclésiastique.

  1. Tout cela s’est revu en France dans les années qui ont précédé la révolution de 1830. (B.)