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Les principaux ministres de l’Église savent assez quelle rivalité règne entre toutes ces factions qui nous inondent sous le nom d’ordres : leur habit seul est un signal de haine ; les noirs et les blancs divisèrent l’Église pendant des siècles. On a désiré souvent qu’il n’y eût de couvents que pour les malades, et pour ceux qui, étant incapables de remplir les devoirs de la société, chercheraient une consolation dans la retraite ; mais c’est précisément la jeunesse la plus saine, la plus robuste, qu’un enrôleur monacal engage dans son régiment, en la faisant boire à la santé de son saint. Il y a plusieurs couvents où l’on examine le soldat de recrue tout nu ; et si on lui trouve le moindre défaut, on le renvoie. Cette pratique est même usitée chez des religieuses : si elles sont assez mal constituées pour ne pouvoir être mères, on les envoie se marier dans le monde ; si elles sont assez saines pour faire des enfants, on leur fait la grâce de les condamner à la stérilité dans leur prison.

Des retraites honnêtes pour la vieillesse et pour les infirmités, voilà ce qui est nécessaire, et voilà ce qu’on n’a pas seulement tenté.

L’enthousiasme et la sottise firent, dans des temps de ténèbres, des fondations immenses : la raison et l’humanité n’en firent aucune. Combien d’officiers blessés en combattant pour la patrie sont venus demander l’aumône, et quelquefois inutilement, à la porte des opulents monastères fondés par leurs ancêtres !

On nous cite les couvents de l’Église grecque, mère de l’Église latine ; mais premièrement, la grecque n’a point cette bigarrure d’ordres innombrables, presque tous ennemis les uns des autres : elle n’a jamais eu que l’ordre de saint Basile ; la latine ne connut que l’ancien ordre de saint Benoît avant le xiie siècle, et les moines de cet ordre défrichèrent des terres incultes avant de défricher la littérature, plus inculte encore. Secondement, les couvents, chez les Grecs, sont les séminaires d’où l’on tire tous les prêtres, les curés, et les évêques : étant curés, ils se marient ; étant évêques, ils ne se marient plus ; chez nous, au contraire, les moines ont toujours été dans une espèce de guerre contre les curés et les évêques : consultez sur cela l’évêque de Belley, dans son Apocalypse de Méliton[1]. Et n’avez-vous pas vu en dernier lieu des jésuites fanatiques venir faire des missions chez des curés très-instruits et très-sages, comme s’ils étaient venus prêcher des Iroquois ? Ils dépossédaient le curé dans le temps de leur mission ; ils s’emparaient de l’église, plantaient une croix

  1. Voyez la note, tome XVII, pages 290-291.