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LETTRE[1]
D’UN ECCLÉSIASTIQUE
SUR
LE PRÉTENDU RÉTABLISSEMENT DES JÉSUITES DANS PARIS.
20 mars 1774.

Il n’y a, monsieur, ni grande ni petite révolution sans faux bruits, soit parce que les parties intéressées croient nécessaire de cacher leurs intentions au public, soit plutôt parce que le public s’aveugle lui-même, et n’attend jamais qu’on prenne la peine de le détromper.

On débite que des personnes constituées en dignité veulent établir dans Paris une société de jésuites, sous un autre nom et sous une nouvelle forme.

Notre ministère est trop éclairé pour adopter de telles vues ; il ne prendra point pour sa devise :

Diruit, ædificat, mutat quadrata rotundis.
                                   (Hor., lib. I, ep. I.)

Aurait-on jeté par terre une grande maison pour la rebâtir plus petite ? Aurait-on nettoyé une vaste campagne pour y conserver dans un coin un peu d’ivraie qui pourrait gâter tout le reste ? Quelle idée de vouloir réunir des jésuites dans Paris pour alarmer les parlements, pour outrager les universités, pour recommencer la guerre au même moment qu’on s’est donné la paix ! Si on avait proposé à Cadmus de semer encore quelques dents du dragon après la défaite de ceux qui étaient nés de ces dents, il n’aurait pas suivi ce conseil funeste.

Les jésuites firent aux universités une guerre qui dura plus

  1. Il est parlé de cette Lettre dans les Mémoires secrets dès le 24 mars 1774.