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SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

par lui de la plus extrême misère, et que, réchauffé dans sa maison (comme Tartuffe chez Orgon), il n’avait vécu que de ses libéralités. La première chose qu’il fait après la mort d’Helvétius est de déchirer le cadavre de son bienfaiteur.

Nous n’étions pas de l’avis de M. Helvétius sur plusieurs questions de métaphysique et de morale ; et nous nous en sommes assez expliqué[1] sans blesser l’estime et l’amitié que nous avions pour lui. Mais qu’un homme nourri chez lui par charité prenne le masque de la dévotion pour l’outrager avec fureur, lui et tous ses amis, et tous ceux même qui l’ont assisté, nous pensons qu’il ne s’est rien fait de plus lâche dans les trois siècles dont cet homme parle, et qu’il connaît si peu.

Lui !... un abbé Sabatier !... oser feindre de défendre la religion ! oser traiter d’impies les hommes du monde les plus vertueux ! S’il savait que nous avons eu en notre possession son abrégé du spinosisme, intitulé Analyse de Spinosa[2], à Amsterdam ; ouvrage rempli de sarcasmes et d’ironies, écrit tout entier de sa main, finissant par ces mots : « Point de religion, et j’en serai plus honnête homme. La loi ne fait que des esclaves, elle n’arrête que la main ; » enfin signé : adieu baptisabit.

S’il savait que nous possédons aussi écrits de sa main les vers infâmes qu’il fit dans sa prison à Strasbourg, et d’autres vers aussi libertins que mauvais, que dirait-il ? Rentrerait-il en lui-même ? Non, il irait demander un bénéfice, et il l’obtiendrait peut-être.

Le cœur le plus bas et le plus capable de tous les crimes des lâches est celui d’un athée hypocrite.

Nous fûmes toujours persuadé que l’athéisme ne peut faire aucun bien, et qu’il peut faire de très-grands maux. Nous fîmes sentir la distance infinie entre les sages qui ont écrit contre la superstition, et les fous qui ont écrit contre Dieu. Il n’y a dans tous les systèmes d’athéisme ni philosophie ni morale.

Nous n’y voyons point de philosophie : car, en effet, est-ce raisonner que de reconnaître du génie dans une sphère d’Archimède, de Posidonius ; dans un de ces oreries[3] qu’on vend en Angleterre, et de n’en point reconnaître dans la fabrication de l’univers ; d’admirer la copie, et de s’obstiner à ne point voir

  1. Tome XIX, pages 23, 375 ; XX, 321 ; XXV, 445, 474 ; XXVI, 37.
  2. Une Apologie de Spinosa et du spinosisme, par Sabatier, a vu le jour pour la première fois à Altona, 1800. in-8o.
  3. Machine de mathématiques, ainsi appelée du nom de Boyle, comte d’Orery, à qui elle fut dédiée. Voyez tome XXI, page 554.