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LETTRE ANONYME
ADRESSÉE
AUX AUTEURS DU JOURNAL ENCYCLOPÉDIQUE
aux sujet d’une nouvelle épître de boileau à m. de voltaire[1]

MESSIEURS,

J’ai lu. depuis peu une Épître adressée à M. de Voltaire, sous le nom de Boileau. Boileau est mort, et quand nous ne le saurions pas, cet ouvrage suffirait pour nous en convaincre. En général, il est rare qu’un homme qui n’a pas le courage de se servir de son propre nom ait la force de porter celui d’autrui. Mais je ne sache point que, depuis feu Cotin, qui en a donné l’exemple, le nom de Despréaux ait été aussi étrangement prostitué ; il semblerait du moins qu’un homme qui se hasarde à faire parler le législateur de notre poésie devrait avoir lu l’Art poétique. Le téméraire qui évoque aujourd’hui les mânes de Boileau, ou n’a jamais lu ses préceptes, ou les a parfaitement oubliés :

Surtout qu’en vos écrits la langue révérée,
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée[2].

Voilà comme parlait le véritable Boileau ; voici comme écrit son pseudonyme. Je vais vous citer d’abord de sa prose, et ensuite de ses vers. « L’ombre de Boileau, dit-il, dans un avertissement fort aigre, ayant porté ses regards parmi nous, n’y a vu, d’un côté, que la foule de ses détracteurs, aussi nombreux que la foule des sots ; de l’autre, le petit nombre éclairé de ses admirateurs pusillanimes et sans courage. » Vous demanderez pourquoi l’auteur traite si mal ceux qu’il appelle le petit nombre éclairé des admirateurs de Boi-

  1. Dans les éditions de Kehl et autres, ce morceau est intitulé Observations sur une nouvelle Épître de Boileau à M. de Voltaire, lettre anonyme adressée aux auteurs du Journal encyclopédique. Le titre que j’ai mis est celui qui se lit dans le Journal encyclopédique, cahier du 15 mars 1773. (B.) — C’était la seconde fois que Voltaire occupait le public des vers de Clément ; voyez tome XXVIII, page 473.
  2. Art poétique, I, 155-156.