Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
FRAGMENT

abandonna Saint-Pierre, premier aumônier de sa mère ; et ce pauvre aumônier fut la victime du service qu’il avait cru rendre au régent : accident fort commun aux gens de lettres.

L’abbé continua tranquillement à éclairer le monde et à le gouverner. Il publia une ordonnance pour rendre les ducs et pairs utiles à l’État ; il diminua toutes les pensions par un de ses édits, vida tous les procès, permit aux prêtres et aux moines de se marier, et ayant ainsi rendu la terre heureuse, il s’occupa de ses Annales politiques, qui sont poussées jusqu’à l’année 1739, et qui ne furent imprimées que longtemps après sa mort. Elles finissent par une comparaison entre Louis XIV et Henri IV. Il donne la préférence entière à Henri IV, sans concurrence ; et une de ses plus fortes raisons est que ce prince voulait établir, selon lui, la diète europaine et le scrutin perfectionné.

Si nous osions mettre dans la balance Henri IV et Louis XIV, nous laisserions là ce scrutin et cette paix perpétuelle. Nous dirions que Henri IV et Louis XIV naquirent heureusement tous deux, avec des caractères et des talents convenables aux temps où ils vécurent.

Henri, né loin du trône, élevé dans les guerres civiles, toujours éprouvé par elles, persécuté par Philippe II jusqu’à la paix de Vervins, avait besoin du courage d’un soldat. Louis, né sur le trône, maître absolu vers le temps de son mariage, eut cette valeur tranquille que forment l’honneur, la gloire, et la raison : il vit souvent le danger sans s’émouvoir. C’était ce même courage d’esprit qu’il déploya les derniers jours de sa vie : ce n’était pas dans lui l’emportement d’un sang bouillant, comme dans Charles XII ou dans Henri IV.

Il y avait entre Henri et Louis cette différence qui se trouve si souvent entre un gentilhomme qui a sa fortune à faire, et un autre qui est né avec une fortune toute faite. L’un fut toujours obligé de chercher des ressources ; l’autre trouva tout préparé autour de lui pour seconder en tout genre sa passion pour la gloire, pour la magnificence et pour les plaisirs. Henri IV, par sa position, fut longtemps un chef de parti, forcé de se mesurer souvent avec des aventuriers, qui, dans d’autres temps, auraient attendu respectueusement les ordres de ses domestiques. L’autre, dès qu’il agit par lui-même, attira les regards de l’Europe entière ; tous deux ennemis de la maison d’Autriche, mais Henri accablé trente ans par elle, et Louis XIV l’accablant trente ans de suite du poids de sa grandeur et de sa gloire.

Henri, forcé d’être toujours très-économe ; et Louis, invité par