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FRAGMENT

cette espèce. Les rois, les princes, les ministres, pourraient dire alors : « À quoi nous servira de faire du bien, si le prix en est la calomnie ? »

La Beaumelle pousse sa furieuse démence jusqu’à représenter par bravade ses confrères les protestants de France (qui le désavouent) comme une multitude redoutable au trône[1]. « Il s’est formé, dit-il, un séminaire de prédicants sous le nom de ministres du désert, qui ont leurs cures, leurs fonctions, leurs appointements, leurs consistoires, leurs synodes, leur juridiction ecclésiastique... Il y a cinquante mille baptêmes et autant de mariages bénis illicitement en Guienne, des assemblées de vingt mille âmes en Poitou, autant en Dauphiné, en Vivarais, en Béarn, soixante temples en Saintonge, un synode national à Nîmes, composé des députés de toutes les provinces. »

Ainsi, par ces exagérations extravagantes, il se rend le délateur de ses confrères, et, en écrivant contre le trône, il les exposerait à passer pour les ennemis du trône ; il ferait regarder la France parmi les étrangers comme nourrissant dans son sein les semences d’une guerre civile prochaine, si on ne savait que toutes ces accusations contre les protestants sont d’un fou également en horreur aux protestants et aux catholiques.

Acharné contre tous les princes de la maison de France, et contre le gouvernement, il prétend que monseigneur le Duc, père de monseigneur le prince de Condé, fit assassiner M. Vergier[2], commissaire des guerres, en 1720, et que sa mort a été récompensée de la croix de Saint-Louis. L’auteur du Siècle de Louis XIV avait démontré la fausseté de ce conte[3]. Tout le monde sait aujourd’hui que Vergier avait été assassiné par la troupe de Cartouche : les assassins l’avouèrent dans leur interrogatoire ; le fait est public ; n’importe, il faut que La Beaumelle, non moins coupable que ces malheureux, et non moins punissable, calomnie la maison de Condé comme il a fait la maison d’Orléans et la famille royale.

De pareilles horreurs semblent incroyables ; personne n’avait joint encore tant de ridicule à tant d’exécrables atrocités.

C’est ce même misérable qui, dans un petit livre intitulé Mes

  1. Page 110 des Lettres de La Beaumelle à M. de Voltaire ; à Londres, chez Jean Nourse. (Note de Voltaire.) — Voltaire a fait dans sa citation quelques suppressions, et même quelques changements de mots, mais qui ne changent pas le sens. (B.)
  2. Tome III, page 323, du Siècle de Louis XIV. (Note de Voltaire.)
  3. Voyez tome XIV, page 142 ; XV, 126.