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SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

préliminaire qu’on intitula Philosophie de l’Histoire[1], de démêler comment naquirent les principales opinions qui unirent des sociétés, qui ensuite les divisèrent, qui en armèrent plusieurs les unes contre les autres. Nous cherchâmes toutes ces origines dans la nature : elles ne pouvaient être ailleurs. Nous vîmes que, si on fit descendre Tamerlan d’une race céleste, on avait donné pour aïeux à Gengis-kan une vierge et un rayon du soleil. Manco-Capac s’était dit de la même famille en Amérique. Odin, dans les glaces du nord, avait passé pour le fils d’un dieu ; Alexandre, longtemps auparavant, essaya d’être le fils de Jupiter, dût-il brouiller, comme on le dit, sa mère avec Junon ; Romulus passa chez les Romains pour le fils de Mars. La Grèce, avant Romulus, fut couverte d’enfants des dieux. La fable de l’Arabe Bak ou Bacchus, à qui on donna cent noms différents, est le plus ancien exemple qui nous soit resté de ces généalogies. D’où put venir cette conformité d’orgueil et de folie entre tant d’hommes séparés par la distance des temps et des lieux, si ce n’est de la nature humaine, partout orgueilleuse, partout menteuse, et qui veut toujours en imposer ? Ce fut donc en consultant la nature que nous tâchâmes de porter quelque faible lumière dans le ténébreux chaos de l’antiquité.

Il ne faut pas s’enquérir quel est le plus savant, dit Montaigne, mais quel est le mieux savant[2]. Il a plu à M. Larcher, très-savant homme à la manière ordinaire, de combattre notre philosophie par son autorité[3]. Ainsi il était impossible que nous nous rencontrassions.

Nous avions, parmi les contes d’Hérodote, trouvé fort ridicule, avec tous les honnêtes gens, le conte qu’il nous fait des dames de Babylone, obligées par la loi sacrée du pays d’aller une fois dans leur vie se prostituer aux étrangers, pour de l’argent, au temple de Milita. Et M. Larcher nous soutenait que la chose était vraie, puisque Hérodote l’avait dite. Il joint pourtant une raison à cette autorité : c’est qu’on avait dans d’autres pays sacrifié des enfants aux dieux, et qu’ainsi on pouvait bien ordonner que toutes les dames de la ville la plus opulente et la plus policée de l’Orient, et surtout des dames de qualité, gardées par des eunuques, se prostituassent dans un temple.

  1. Nous avons fait remarquer bien des fois déjà que la Philosophie de l’Histoire fut composée plusieurs années après l’Essai, auquel elle sert aujourd’hui d’introduction.
  2. Ce n’est pas tout à fait le texte de Montaigne, Essais, livre Ier, chap. xxiv.
  3. L’ouvrage de Larcher est intitulé Supplément à la Philosophie de l’Histoire. Voltaire y répondit par la Défense de mon oncle : voyez tome XXVI, page 367.