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FRAGMENT

pierres de vingt-cinq pieds de long subsistent encore. Des globes de feu ne peuvent sortir de ces pierres, puisque jamais les flammes ne s’arrondissent en globes, et qu’elles s’élèvent toujours en spirales et en cônes. D’ailleurs on sait que, dans ces temps-là, plusieurs villes de la Syrie furent endommagées par des volcans souterrains, sans qu’il fût question de rebâtir un temple. On ajouta encore à ce prodige des globes de feu, ces petites croix enflammées qui s’attachaient aux vêtements des ouvriers. Voilà bien du merveilleux.

Il est évident que si Julien discontinua la reconstruction du temple de Jérusalem, ce fut par d’autres raisons. Si les prétendus globes de feu l’en avaient empêché, il en aurait parlé dans sa lettre sur cette aventure. Voici cette lettre importante :

« Que diront les Juifs de leur temple, qui a été renversé trois fois, et qui n’est point encore rebâti ? Ce n’est point un reproche que je leur fais, puisque j’ai voulu moi-même relever ses ruines ; je n’en parle que pour montrer l’extravagance de leurs prophètes, qui trompaient de vieilles femmes imbéciles. Quid de templo suo dicent, quod cum tertio sit eversum, nondum ad hodiernum usque diem instauratur ? Hæc ego, non ut illis exprobrarem, in medium adduxi, utpote qui templum illud tanto intervallo a ruinis excitare voluerim...; sed ideo commemoravi, ut ostenderem... delirasse prophetas istos, quibus cum stolidis aniculis negotium erat. »

N’est-il pas clair par cette lettre que Julien, ayant d’abord eu la condescendance de permettre que les Juifs achetassent le droit de bâtir leur temple, comme ils achetaient tout, il changea d’avis ensuite, et ne voulut pas qu’une nation si fanatique et si atroce eût un signal sacré de ralliement, et une forteresse au milieu de ses États ? Une telle explication est simple, naturelle, vraisemblable. Il ne faut point embrouiller par un miracle ce qu’on peut démêler par la raison. Nous déplorons, encore une fois, nous détestons l’erreur de Julien, mais il faut être équitable.

Si nous défendîmes la cause de Julien avec quelque chaleur, c’est qu’en effet ce prince philosophe, qui était si dur pour lui-même, fut très-indulgent pour les autres ; c’est qu’étant à la tête d’un des deux partis qui divisaient l’empire, il ne fit jamais couler le sang du parti opposé au sien.

L’empereur Constance, son proche parent et son persécuteur, assassin de toute sa famille, avait toujours été sanguinaire. Julien fut le plus tolérant des hommes, et l’unique chef de parti qui fût tolérant.

La Bléterie, qui, dans le xviiie siècle, a osé écrire une vie de