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On me crie que, dans le temps où Henri IV préparait son abjuration, et lorsque les citoyens présentèrent requête pour faire quelque accommodement avec ce grand homme, ce bon roi, ce conquérant et ce père de la France, toute la faculté de théologie assemblée condamna la requête comme inepte, séditieuse, impie, absurde, inutile, attendu qu’on connaît l’obstination de Henri le relaps. La faculté déclare expressément tous ceux qui parlent d’engager le roi à professer la religion catholique parjures, séditieux, perturbateurs du royaume, hérétiques, fauteurs d’hérétiques, suspects d’hérésie, sentant l’hérésie ; et qu’ils doivent être chassés de la ville, de peur que ces bêtes pestiférées n’infectent tout le troupeau.

Ce décret du premier novembre 1592 est tout au long dans le Journal de Henri IV, tome Ier page 259. Le respectable de Thou rapporte des décrets encore plus horribles, et qui font dresser les cheveux.

Bénissons les philosophes qui ont appris aux hommes qu’il faut prodiguer ses biens et sa vie pour son roi, fût-il de la religion de Mahomet, de Confucius, de Brama, ou de Zoroastre.

Mais je répondrai toujours que la Sorbonne s’est repentie de ces écarts, et qu’on ne doit les imputer qu’au malheur des temps. Une compagnie peut s’égarer : elle est composée d’hommes ; mais aussi ces hommes réparent leurs fautes. La raison, la saine doctrine, la modestie, la défiance de soi-même, reviennent se mettre à la place de l’ignorance, de l’orgueil, de la démence et de la fureur. On n’ose plus condamner personne après avoir été si condamnable. On devient meilleur pour avoir été méchant. On est l’édification d’une patrie dont on fut l’horreur et le scandale.

Les jésuites ont fatigué la France du récit de tant de crimes ; mais l’Université, de son côté, a reproché aux frères jésuites d’avoir mis le couteau à la main de Jean Châtel, d’avoir forcé le grand Henri IV à dire au duc de Sully qu’il aimait mieux les rappeler et s’en faire des amis que de craindre continuellement le poignard et le poison. Elle les a peints, dans tous ses procès contre eux, comme des soldats en robe, d’une puissance dangereuse, comme des espions de toutes les cours, des ennemis de tous les rois, des traîtres à toutes les patries.

Combien de fois le docteur Arnauld, le docteur Boileau, le docteur Petit-Pied, et tant d’autres docteurs, n’ont-ils pas reproché à ces ci-devant jésuites la banqueroutte de Séville, qui précéda d’un siècle la banqueroute de frère La Valette ; leurs calomnies contre le bienheureux don Juan de Palafox ; et, après huit volumes entiers de pareils reproches, ne leur ont-ils pas remis