Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.
209
SUR L’INDE.

que les hommes sont bons, pour retourner au séjour de la méchanceté.

Le lecteur peut se souvenir[1] que le colonel Clive, à la tête d’un corps de quatre mille hommes, avait vaincu et pris dans le Bengale le souverain Suraia-Doula, comme Fernand Cortez avait pris Montezuma dans le Mexique, au milieu de ses troupes innombrables. On a vu comment cet officier, au service de la compagnie, créa Jaffer souverain du Bengale, de Golconde et d’Orixa ; un fils de Jaffer, nommé Suraia-Doula, succéda à son père avec la protection des Anglais. Ils disent qu’il fut ingrat envers eux, et qu’il voulut à la fois les chasser du Bengale et achever la ruine du nouvel empereur Sha-Allum. Ce nouveau Grand Mogol Allum, presque sans défense, eut recours aux Anglais à son tour. Le colonel Clive le protégea. Le tyran Abdala était absent alors, et occupé dans le Corassan. Clive livra bataille aux oppresseurs de l’empereur Sha-Allum, et les défit dans un lieu nommé Buxar[2] : cette nouvelle victoire de Buxar combla les Anglais de gloire et de richesses. Ni le gouverneur Holwell, ni le lieutenant-colonel Dow, ni le capitaine Scrafton, ne nous instruisent de la date de cette grande action. Ils s’en rapportent à leurs dépêches envoyées à Londres, que nous ne connaissons pas. Mais cet événement ne doit pas être éloigné du temps où les Anglais prenaient Pondichéry. Le bonheur les accompagnait partout, et ce bonheur était le fruit de leur valeur, de leur prudence et de leur concorde dans le danger. La discorde avait perdu les Français ; mais bientôt après la désunion se mit dans la compagnie anglaise : ce fut le fruit de leur prospérité et de leur luxe, au lieu que la mésintelligence entre les Français avait été principalement produite par leurs malheurs.

La compagnie anglaise des Indes a été depuis ce temps maîtresse du Bengale et d’Orixa ; elle a résisté aux Marattes et aux nababs qui ont voulu la déposséder ; elle tend encore la main au malheureux empereur Sha-Allum, qui n’a plus que la moitié de la province d’Allabad, entre le Gange et la rivière de Sérong, au vingt-cinquième degré de latitude. Cette province d’Allabad n’est pas seulement marquée dans nos cartes françaises de l’Inde. Il faut être bien établi dans un pays pour le connaître.

Le district qu’on a laissé comme par pitié à cet empereur lui

  1. Voyez pages 127, 128.
  2. La bataille de Buxar fut livrée le 13 octobre 1764 ; mais c’était le colonel sir Hector Munroe qui commandait, et non Clive, alors en Angleterre.