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SUR L’INDE.

point sur nos cartes. Le lecteur éprouvera un étonnement plus agréable quand il saura que ce pays est peuplé des hommes les plus doux, les plus justes, les plus hospitaliers, et les plus généreux qui aient jamais rendu la terre digne du ciel. « La liberté, la propriété, y sont inviolables. On n’y entend jamais parler de vol ni particulier ni public. Tout voyageur, trafiquant ou non, y est sous la garde immédiate du gouvernement, qui lui donne des guides pour le conduire sans aucuns frais, et qui répondent de ses effets et de sa personne. Les guides, à chaque station ou couchée, le remettent à d’autres conducteurs avec un certificat des services que les premiers lui ont rendus ; et tous ces certificats sont portés au prince. Le voyageur est défrayé de tout dans sa route, aux dépens de l’État, trois jours entiers dans chaque lieu où il veut séjourner, etc… »

Tel est le récit de M. Holwell. Il n’est pas permis de croire qu’un homme d’État, dont la probité est connue, ait voulu en imposer aux simples. Il serait trop coupable et trop aisément démenti. Cette contrée n’est pas comme l’île imaginaire de Pancaye, le jardin des Hespérides, les îles Fortunées, l’île de Calypso, et toutes ces terres fantastiques où des hommes malheureux ont placé le séjour du bonheur.

Cette province appartient de temps immémorial à une race de brames qui descend des anciens brachmanes. Et ce qui peut faire penser que le vrai nom du pays est Vishnapor, c’est que ce nom signifierait le royaume de Vishnou, la bienfaisance de Dieu. Ses mœurs furent autrefois celles de l’Inde entière, avant que l’avarice y eût conduit des armées d’oppresseurs. La caste de brames y a conservé sa liberté et sa vertu, parce qu’étant toujours maîtres des écluses qu’ils ont construites sur un bras du Gange, et pouvant inonder le pays, ils n’ont jamais été subjugués par les étrangers. C’est ainsi qu’Amsterdam s’est mise à l’abri de toutes les invasions.

Ce peuple asiatique, aussi innocent, aussi respectable que les Pensylvaniens de l’Amérique anglaise, n’est pas pourtant exempt d’une superstition grossière. Il est très-compatible que la vertu la plus pure subsiste avec les rites les plus extravagants. Cette superstition même des Vishnaporiens paraît une preuve de leur antiquité. L’espèce de culte qu’ils rendent à la vache, affaibli dans le reste de l’Inde, s’est conservé chez cette nation isolée dans toute la simplicité crédule des premiers temps. Quand la vache consacrée meurt, c’est un deuil universel dans le pays : une telle bêtise est bien naturelle dans un peuple à qui l’on avait fait accroire