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FRAGMENTS HISTORIQUES

si Thucydide avait commencé l’histoire de la Grèce à la naissance de Vénus et à la boîte de Pandore.

M. Dow remarque que ce Persan ne savait pas la langue du Hanscrit, et que par conséquent l’antiquité lui était inconnue.

Après les temps fabuleux chez toutes les nations viennent les temps historiques ; et cet historique est encore partout mêlé de fables. Ce sont, chez les Grecs, les travaux d’Hercule, la toison d’or, le cheval de Troie. Les Romains ont le viol et la mort de Lucrèce, l’aventure de Clélie et de Scévola, le vaisseau qu’une vestale tire sur le sable avec sa ceinture, le pontife Navius, qui coupe un caillou avec un rasoir. Tous nos peuples barbares, Germains, Gaulois, habitants de la Grande-Bretagne, faisaient des miracles avec le gui de chêne ; les Bretons descendaient de Brutus, fils cadet d’Énée ; leur roi Vortiger était sorcier. Un prétendu roi de France, nommé Childéric, s’enfuyait en Allemagne, qui n’avait point de rois ; et là il enlevait au roi Bazin la reine sa femme, Bazine. Un ange descendait du ciel, on ne sait pas précisément de quelle partie, pour apporter un étendard au Sicambre Hildovic. Un pigeon descendait aussi du ciel, et lui apportait dans son bec une petite fiole d’huile. Les Espagnols, mêlés d’anciens Tyriens, et ensuite d’Africains, de Juifs, de Romains, de Vandales, de Goths et d’Arabes, venaient pourtant en droite ligne de Japhet par Tubal, fils d’Ibérus. Hispan appela le pays Espagne. Lusus, fils d’Élie, fonda le royaume de Lusitanie, qui est aujourd’hui le Portugal ; mais ce fut Ulysse qui bâtit Lisbonne.

Parcourez toutes les nations de l’univers, vous n’en trouverez pas une dont l’histoire ne commence par des contes dignes des quatre fils Aimon et de Robert le Diable. Féristha sentit bien ce ridicule universel, et son traducteur anglais le sent encore mieux.

Ce qu’il y a de pis, c’est que le savant Féristha ne nous apprend ni les mœurs, ni les lois, ni les usages du pays dont il parle, et dans lequel il vivait.

Nous n’avons vu dans toute son histoire qu’un roi juste ; il se nommait Biker-Mugit. Les poëtes de son temps disaient que l’aimant n’osait attirer le fer, et l’ambre n’osait s’attacher à la paille sans sa permission.

Ce qu’il rapporte peut-être de plus curieux, c’est qu’il a trouvé d’anciens mémoires qui confirment ce que les Persans disent de leur héros Rustan, qu’il conquit l’Inde environ douze cents ans avant notre ère vulgaire.