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SUR L’INDE.

demi-dieu, d’un ange précipité du ciel, que dans le Shasta des brachmanes. Ni Lucifer, ni Belzébuth, ni Satan, n’étaient son nom. Il s’appelait Moisasor : c’était le chef de la bande rebelle ; il devint diable, si l’on veut, avec sa suite : il fut du moins damné en effet. L’Éternel le précipita dans le vaste cachot de l’ondéra ; mais il ne fut point tentateur ; il ne vint point exciter les hommes au péché, car ni les hommes ni la terre n’existaient alors. Dieu l’enferma dans ce grand enfer de l’ondéra, lui et les siens, pour des milliers de monontours. Or il faut savoir qu’un monontour est une période de quatre cent vingt-six millions d’années. Chez nous, Dieu n’a pas encore pardonné au diable ; mais chez les Indiens, Moisasor et sa troupe obtinrent leur grâce au bout d’un monontour. Ainsi l’enfer de l’ondéra n’avait été, à proprement parler, qu’un purgatoire[1].

Alors Dieu créa la terre, et la peupla d’animaux. Il fit venir les délinquants, dont il adoucit les peines. Ils furent changés d’abord en vaches. C’est depuis ce temps que les vaches sont si sacrées dans la presqu’île de l’Inde, et que les dévots n’y mangent aucun animal. Ensuite les anges pénitents furent changés en hommes, et distingués en quatre castes. Comme coupables, ils apportèrent dans ce monde le germe des vices ; comme punis, ils apportèrent le principe de tous les maux physiques : voilà l’origine du bien et du mal.

On reprochera peut-être à ce système que les animaux, n’ayant point péché, sont pourtant aussi malheureux que nous, qu’ils se dévorent tous les uns les autres, qu’ils sont mangés par tous les hommes, excepté par les brames. C’eût été une faible objection du temps qu’il y avait des cartésiens.

Nous n’entrerons point ici dans les disputes des théologiens de l’Inde sur cette origine du mal. Les prêtres ont disputé partout ; mais il faut avouer que les querelles des brames ont été toujours paisibles.

Des philosophes pourront s’étonner que des géomètres, inventeurs de tant d’arts, aient formé un système de religion qui, quoique ingénieux, est pourtant si peu raisonnable. Nous pourrions répondre qu’ils avaient à faire à des imbéciles, et que les prêtres chaldéens, persans, égyptiens, grecs, romains, n’eurent jamais de système ni mieux lié, ni plus vraisemblable.

  1. Vous retrouverez le purgatoire chez les Égyptiens, vous le retrouverez très-expressément dans le sixième chant de l’Énéide. Nous avons tout pris des anciens, presque sans exception. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XI, page 66 ; XVIII, 35, et XX, 310.