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FRAGMENTS HISTORIQUES

pire romain, et ni la Fleur des saints[1], ni le Pensez-y bien[2], ne sont la religion des sages chrétiens.

Toutes les nations ont toujours élevé les unes contre les autres des accusations fondées sur l’ignorance et sur la mauvaise foi. On a hautement imputé l’athéisme au gouvernement chinois[3], et les ennemis des jésuites les ont accusés de fomenter l’athéisme à Pékin. Il y a sans doute à la Chine et dans l’Inde, comme ailleurs, des philosophes qui, ne pouvant concilier le mal physique et le mal moral dont la terre est inondée, avec la croyance d’un Dieu, ont mieux aimé ne reconnaître dans la nature qu’une nécessité fatale. Les athées sont partout, mais aucun gouvernement ne le fut par principe, et ne le sera jamais : ce n’est l’intérêt ni des royaumes, ni des républiques, ni des familles ; il faut un frein aux hommes.

D’autres jésuites missionnaires aux Indes, moins éclairés que leurs confrères de la Chine, et soldats crédules naguère d’un despote artificieux, ceux-là ont pris les brames adorateurs d’un seul Dieu pour des idolâtres. Nous avons déjà vu[4] avec quelle simplicité ils croyaient que le diable était un des dieux de l’Inde. Ils l’écrivaient à notre Europe ; ils le persuadaient dans Pondichéry, dans Goa, dans Diu, à des marchands plus ignorants qu’eux. L’idée d’adorer le diable n’est jamais tombée dans la tête d’aucun homme, encore moins d’un brachmane, d’un gymnosophiste. Nous ne pouvons ici adoucir les termes : il faut avoir bien peu de raison et beaucoup de hardiesse pour croire qu’il soit possible de prendre pour son dieu un être qu’on suppose condamné par Dieu même à des supplices et à des opprobres éternels, un fantôme abominable et ridicule, occupé à nous faire tomber dans l’abîme de ses tourments. Recherchons dans la mythologie indienne ce qui peut avoir donné un prétexte à l’ignorance de calomnier si brutalement l’antiquité.



ARTICLE XXIII.


DE L’ANCIENNE MYTHOLOGIE PHILOSOPHIQUE AVÉRÉE, ET DES PRINCIPAUX DOGMES DES ANCIENS BRACHMANES SUR L’ORIGINE DU MAL.


Les anciens brachmanes sont sans contredit les premiers qui osèrent examiner pourquoi sous un Dieu bon il y a tant de mal

  1. Voyez ma note, tome XVIII, page 491.
  2. Le Pensez-y bien, par le R. P. P. D. L. C. J., 1696, in-24. L’auteur est resté inconnu.
  3. Voyez Dictionnaire philosophique, au mot Chine, tome XVIII, page 154.
  4. Tome XVIII, page 35 ; et ci-dessus, page 110.