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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

c’est qu’en effet, après bien des recherches, on trouva qu’il n’avait laissé qu’une fortune médiocre. L’arrêt portait qu’on prendrait sur la confiscation de ses biens cent mille écus pour les pauvres de Pondichéry. Il ne se trouva pas de quoi payer cette somme, dettes préalables acquittées ; et le conseil de Pondichéry avait, dans ses requêtes, fait monter ses trésors à dix-sept millions. Les vrais pauvres intéressants étaient ses parents : le roi leur accorda des grâces qui ne réparèrent pas le malheur de la famille. La plus grande grâce qu’elle espérait était de faire revoir, s’il était possible, le procès par un autre parlement, ou d’en faire remettre la décision à un conseil de guerre, aidé de magistrats.

Il parut enfin aux hommes sages et compatissants que la condamnation du général Lally était un de ces meurtres commis avec le glaive de la justice. Il n’est point de nation civilisée chez qui les lois, faites pour protéger l’innocence, n’aient servi quelquefois à l’opprimer. C’est un malheur attaché à la nature humaine, faible, passionnée, aveugle. Depuis le supplice des Templiers, point de siècle où les juges en France n’aient commis plusieurs de ces erreurs meurtrières. Tantôt c’était une loi absurde et barbare qui commandait ces iniquités judiciaires, tantôt c’était une loi sage qu’on pervertissait[1].

Qu’il soit permis de remettre ici sous les yeux ce que nous avons dit autrefois[2], que si on avait différé les supplices de la plupart des hommes en places, un seul à peine aurait été exécuté. La raison en est que cette même nature humaine, si cruelle quand elle est échauffée, revient à la douceur lorsqu’elle se refroidit[3].

  1. La maréchale d’Ancre fut accusée d’avoir sacrifié un coq blanc à la lune, et brûlée comme sorcière.

    On prouva au curé Gaufredi qu’il avait eu de fréquentes conférences avec le diable. Une des plus fortes charges contre Vanini était qu’on avait trouvé chez lui un grand crapaud ; et en conséquence il fut déclaré sorcier et athée.

    Le jésuite Girard fut accusé d’avoir ensorcelé La Cadière ; le curé Grandier, d’avoir ensorcelé tout un couvent.

    Le parlement défendit d’écrire contre Aristote sous peine des galères.

    Montecuculli, chambellan, échanson du dauphin François, fut condamné comme séduit par l’empereur Charles-Quint pour empoisonner ce jeune prince, parce qu’il se mêlait un peu de chimie. Ces exemples d’absurdité et de barbarie sont innombrables. (Note de Voltaire. )

  2. Voyez tome XVII, pages 388 et suiv.
  3. Les ennemis du comte de Lally avaient tellement excité la haine contre lui qu’un bruit, vrai ou faux, s’étant répandu que le parlement avait envoyé au roi une députation pour le prier de ne point accorder de grâce, personne ne parut s’étonner d’une démarche qui, faite par des juges contre un homme qu’ils viennent de condamner, serait un aveu de leur partialité ou de leur corruption. On a dit