vées trop tard en France ainsi que tous les arts ; homme d’ailleurs de beaucoup d’esprit, et plus éloquent encore que le rapporteur, dans un goût différent. Il était si persuadé de l’innocence du comte qu’il s’en expliquait hautement devant les juges et dans tout Paris. M. Pellot, ancien conseiller de grand’chambre, le juge peut-être le plus appliqué et du plus grand sens, fut entièrement de l’avis de M. Séguier.
On a cru que le parlement, aigri par ses fréquentes querelles avec des officiers généraux chargés de lui annoncer les ordres du roi ; exilé plus d’une fois[1] pour sa résistance, et résistant toujours ; devenu enfin, sans presque le savoir, l’ennemi naturel de tout militaire élevé en dignité, pouvait goûter une secrète satisfaction en déployant son autorité sur un homme qui avait exercé un pouvoir souverain. Il humiliait en lui tous les commandants. On ne s’avoue pas ce sentiment caché au fond du cœur ; mais ceux qui le soupçonnent peuvent ne pas se tromper.
Le vice-roi de l’Inde française fut, après plus de cinquante ans de services, condamné à la mort, à l’âge de soixante-huit ans (6 mai 1766).
Quand on lui prononça son arrêt, l’excès de son indignation fut égal à celui de sa surprise. Il s’emporta contre ses juges ainsi qu’il s’était emporté contre ses accusateurs, et, tenant à la main un compas qui lui avait servi à tracer des cartes géographiques dans sa prison, il s’en frappa vers le cœur : le coup ne pénétra pas assez pour lui ôter la vie. Réservé à la perdre sur l’échafaud, on le traîna dans un tombereau de boue, ayant dans la bouche un large bâillon qui, débordant sur ses lèvres et défigurant son visage, formait un spectacle affreux. Une curiosité cruelle attire toujours une foule de gens de tout état à un tel spectacle. Plusieurs de ses ennemis vinrent en jouir, et poussèrent l’atrocité jusqu’à l’insulter par des battements de mains. On lui bâillonnait ainsi la bouche de peur que sa voix ne s’élevât contre ses juges sur l’échafaud, et qu’étant si vivement persuadé de son innocence il n’en persuadât le peuple. Ce tombereau, ce bâillon, soulevèrent les esprits de tout Paris, et la mort de l’infortuné ne les révolta pas.
L’arrêt portait que « Thomas-Arthur Lally était condamné à être décapité, comme dûment atteint et convaincu d’avoir trahi les intérêts du roi, de l’État et de la compagnie des Indes, d’abus d’autorité, vexations et exactions ».
- ↑ Voyez tome XVI, pages 76, 85, 96.