Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

Le conseil de Pondichéry en corps présenta une requête contre lui au contrôleur général. Il disait dans cette requête : « Ce n’est point le désir de venger nos injures et notre ruine personnelle qui nous anime ; c’est la force de la vérité, c’est le sentiment pur de nos consciences, c’est le cri général. »

Il paraissait pourtant que le sentiment pur des consciences était un peu corrompu par la douleur d’avoir tout perdu, par une haine personnelle peut-être excusable, et par la soif de la vengeance, qu’on ne peut excuser.

Un très-brave officier, de la noblesse la plus antique, fort mal à propos outragé par le général, et même dans son honneur, écrivait en termes beaucoup plus violents que le conseil de Pondichéry. « Voilà, disait-il, ce qu’un étranger sans nom, sans actions devers lui, sans naissance, sans aucun titre enfin, comblé cependant des honneurs de son maître, prépare en général à toute cette colonie. Rien n’a été sacré pour ses mains sacriléges ; ce chef les a portées jusqu’à l’autel, en s’appropriant six chandeliers d’argent et un crucifix, que le général anglais lui a fait rendre à la sollicitation du supérieur des capucins, etc., etc. »

Le général s’était attiré par ses fougues indiscrètes et par ses reproches injustes une accusation si cruelle : il est vrai qu’il avait fait porter chez lui ces chandeliers et ce crucifix, mais si publiquement qu’il n’était pas possible qu’au milieu de tant de grands intérêts il voulût s’emparer d’un objet si mince. Aussi l’arrêt qui le condamna ne parle point de sacrilége.

Le reproche d’une basse naissance était bien injuste : nous avons ses titres munis du grand sceau du roi Jacques. Sa maison était très-ancienne[1]. On passait donc les bornes avec lui, comme il les avait passées avec tant d’autres. Si quelque chose doit inspirer aux hommes la modération, c’est sans doute cette fatale aventure.

Le ministre des finances devait naturellement protéger une compagnie de commerce dont la ruine semblait si préjudiciable au royaume : il y eut un ordre secret d’enfermer Lally à la Bastille. Lui-même offrit de s’y rendre ; il écrivit au duc de Choiseul : « J’apporte ici ma tête et mon innocence. J’attends vos ordres. » Quelque temps auparavant, un des agents de ses ennemis lui avait offert de lui révéler toutes leurs intrigues, et il refusa cette offre avec mépris.

  1. Une branche de cette famille a possédé le château de Tollendal en Irlande depuis un temps immémorial jusqu’à la dernière révolution. Le lord Kelly, vice-roi d’Irlande sous Élisabeth, était du nom de Lally, mais d’une autre branche. (Note de Voltaire.)