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faites dans ce siècle, les Almanachs des Muses, et la foule innombrable des autres fadaises dont la presse est surchargée. Ce n’est pas seulement la rage d’un fanatisme imbécile qui met la plume à la main de ces gens-là ; c’est une autre espèce de rage, qui est le résultat de la misère, de la faim, de la répugnance pour un métier honnête, et de cet orgueil secret qui se mêle aux sentiments les plus bas. Nous en avons un bel exemple dans cet homme nommé Sabotier, natif de Castres. Il ne tenait qu’à lui d’être un bon perruquier comme son père ; il s’est fait abbé, et vous savez ce qu’il est devenu. Après avoir été chassé de Toulouse et mis au cachot à Strasbourg, il se procura, je ne sais comment, une entrée dans la maison de M. Helvétius ; et la première chose qu’il fit, après la mort de son bienfaiteur et de son maître, fut de le déchirer, non pas à belles dents, mais à très-vilaines dents, dans un de ces dictionnaires de calomnies intitulé les Trois Siècles, ouvrage de la haine et de l’envie de quelques prétendus gens de lettres décrédités, qui eurent la bassesse de s’associer avec lui : et savez-vous, monsieur, quel prétexte ils inventèrent pour justifier cette œuvre d’iniquité ? Celui de défendre la religion chrétienne. C’est sous ce masque sacré que cette petite troupe de démons voulut paraître en anges de lumière.

Il est bon, monsieur, de savoir quels sont ces apôtres ; le public un jour les connaîtra tous. En attendant, je vous dirai que, dans un de mes voyages, j’ai vu entre les mains de M. de V…… un extrait et un commentaire de Spinosa, écrit tout entier de la main de ce malheureux Sabotier. C’est in-4o de cinquante-sept pages, intitulé Analyse de Spinosa[1], où l’on expose les causes et les motifs de l’incrédulité de ce philosophe. Le manuscrit commence par ces mots : Spinosa était fils d’un juif marchand, et finit par ceux-ci : adieu baptisabit. Il est accompagné d’un recueil de petites pièces de vers de monsieur l’abbé, dignes des Étrennes de la Saint-Jean[2] et des lieux honnêtes où ce saint homme les a faits. Tout cela est écrit de la main de M. l’abbé Sabotier, et signé de lui. Des personnes que ce confesseur avait insultées dans son Dictionnaire

    page 1). Les éditeurs de Kehl, et autres, l’avaient intitulé Fragment d’une lettre sous le nom de M. de Morza. (B.) — Voltaire y flagelle l’auteur d’un autre dictionnaire satirique : les Trois Siècles de notre littérature, ou Tableau de l’esprit de nos écrivains, par ordre alphabétique, par l’abbé Sabatier de Castres, auteur mercenaire que Voltaire rebaptisa du nom de Sabotier. (G. A. )

  1. L’abbé Sabatier a publié une Apologie de Spinosa et du spinosisme, Altona., 1806, in-8o ; Paris, 1810, in-12. Est-ce le manuscrit dont il est question ici, et qu’il retoucha ?
  2. Voyez la note, tome XXIII, page 485.