Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/129

Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

Avant de quitter le Malabar, quoiqu’il n’entre point du tout dans notre plan de faire l’histoire naturelle de ce pays délicieux, qu’on nous permette seulement d’admirer les cocotiers et l’arbre sensitif. On sait que les cocotiers fournissent à l’homme tout ce qui lui est nécessaire, nourriture et boisson agréable, vêtement, logement, et meubles : c’est le plus beau présent de la nature. L’arbre sensitif, moins connu, produit des fruits qui s’enflent et qui bondissent sous la main qui les touche. Notre herbe sensitive, aussi inexplicable, a beaucoup moins de propriétés. Cet arbre, si nous en croyons quelques naturalistes, se reproduit de lui-même en quelque sens qu’on le coupe. On ne l’a point pourtant mis au rang des animaux zoophytes, comme Leuvenhoeck[1] y a mis ces petits joncs, nommés polypes d’eau douce, qui croissent dans quelques marais, et sur lesquels on a débité tant de fables trop légèrement accréditées. On cherche du merveilleux, il est partout, puisque les moindres ouvrages de la nature sont incompréhensibles. Il n’est pas besoin d’ajouter des fables à ces mystères réels qui frappent nos yeux, et que nous foulons aux pieds[2].


ARTICLE XI.


SUITE DE LA CONNAISSANCE DES CÔTES DE L’INDE.


Enfin on double ce fameux cap de Comor ou Comorin, connu des anciens Romains dès le temps d’Auguste, et alors on est sur cette côte des perles qu’on appelle la Pêcherie. C’est de là que les plongeurs indiens fournissaient des perles à l’Orient et à l’Occident. On en trouvait encore beaucoup lorsque les Portugais découvrirent et envahirent ce rivage dans notre xvie siècle. Depuis ce temps-là, cette branche immense de commerce a diminué de jour en jour, soit que les mers plus orientales pro-

    un petit peuple nommé les Coleries, dont la loi est que, dans leurs querelles et dans leurs procès, la partie adverse est obligée de faire tout ce que fait l’autre. Celle-ci se crève-t-elle un œil, celle-là est obligée de s’en arracher un. Si un Colerie égorge sa femme et la mange, son adversaire aussitôt assassine et mange la sienne. M. Orm, savant Anglais, qui a vu beaucoup de ces Coleries, assure en propres mots que ces coutumes diaboliques sont absolument inconnues, et que le P. Martin en a menti. (Note de Voltaire.)

  1. Naturaliste, 1632-1723.
  2. Voyez la note des éditeurs de Kehl sur le chapitre iii des Singularités de la nature (tome XXVII, page 131), et celle sur l’article Polypes dans le Dictionnaire philosophique (tome XX, page 242).