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ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

La Martinière lui-même[1]. On s’indigne contre cette foule de compilateurs qui transcrivent de sang-froid tant d’inepties en tout genre, comme si ce n’était rien de tromper les hommes[2].

Nous regardons comme un devoir de redire ici[3] que les premiers brahmanes, ayant inventé la sculpture, la peinture, les hiéroglyphes, ainsi que l’arithmétique et la géométrie, représentèrent la vertu sous l’emblème d’une femme à laquelle ils donnaient dix bras pour combattre dix monstres, qui sont les dix péchés auxquels les hommes sont le plus sujets. Ce sont ces figures allégoriques que des aumôniers de vaisseaux, ignorants, trompés et trompeurs, prenaient pour des statues de Satan et de Belzébuth, anciens noms persans qui jamais n’ont été connus dans la presqu’île[4]. Mais que diraient les descendants de ces brahmanes, premiers précepteurs du genre humain, s’ils avaient la curiosité de voir nos pays si longtemps barbares, comme nous avons la rage d’aller chez eux par avarice ?

Tanor, qui suit, est encore appelé royaume par nos géographes : c’est une petite terre de quatre lieues sur deux, une maison de plaisance située dans un lieu délicieux, où les voisins vont acheter quelques denrées précieuses.

Immédiatement après est le royaume de Cranganor, à peu

  1. Dictionnaire géographique, historique et critique.
  2. Le fameux jésuite Tachard conte qu’on lui a dit que les dames nobles de Calicut peuvent avoir jusqu’à dix maris à la fois (tome III des Lettres édifiantes, page 158). Montesquieu [XVI, chapitre v] cite cette niaiserie comme s’il citait un article de la Coutume de Paris ; et ce qu’il y a de pis, c’est qu’il rend raison de cette loi.

    L’auteur de ces Fragments, ayant avec quelques amis envoyé un vaisseau dans l’Inde, s’est informé soigneusement si cette loi étonnante existe dans le Calicut ; on lui a répondu en haussant les épaules et en riant. En effet, comment imaginer que le peuple le plus policé de toute la côte de Malabar ait une coutume si contraire à celle de tous ses voisins, aux lois de sa religion et à la nature humaine ? Comment croire qu’un homme de qualité, un homme de guerre, puisse se résoudre à être le dixième favori de sa femme ? À qui appartiendraient les enfants ? Quelle source abominable de querelles et de meurtres continuels ! Il serait moins ridicule de dire qu’il y a une basse-cour où dix coqs se partagent tranquillement la jouissance d’une poule. Ce conte est aussi absurde que celui dont Hérodote amusait les Grecs, quand il leur disait que toutes les dames de Babylone étaient obligées d’aller au temple vendre leurs faveurs au premier étranger qui voulait les acheter. Un suppôt de l’Université de Paris a voulu justifier cette sottise, il n’y a pas réussi. (Note de Voltaire.) — C’est Larcher que Voltaire appelle ici suppôt de l’Université ; voyez tome XXVI, page 371.

  3. Voltaire l’avait déjà dit plusieurs fois ; voyez tome XV, page 326 ; XVIII, 33, 520 ; XXVIII, 142.
  4. Voyez l’article Brames (article vii). (Note de Voltaire.) — Ci-dessus, page 110 et suiv.